Pères et mères dans la foi

Saint Silouane

Saint Silouane l'Athonite

Nous présentons ici la traduction de trois textes de saint Silouane –
« Entretiens avec les enfants » et deux lettres –
qui ne figurent pas au livre de l’Archimandrite Sophrony,
Starets Silouane, Moine du mont Athos. Les traductions de ces textes
ont été reproduites aux Éditions du Cerf en 2001.

ENTRETIENS AVEC LES ENFANTS


Note de l’archimanrite Sophrony :

Lors de la guerre russo-japonaise (1904-5), le père Silouane, en tant que réserviste de la Garde (avec d’autres moines russes de la Sainte Montagne qui étaient réservistes), fut appelé en Russie dans le cadre de la mobilisation. Il quitta le monastère le 30 décembre 1904 et revint de nouveau au Mont Athos le 16 octobre 1905. Dans la troisième partie de notre ouvrage nous expliquons plus en détail les raisons pour lesquelles le père Silouane ne fut pas envoyé au front et fut libéré pour se rendre chez lui.

Arrivé dans sa famille, en tant que moine, pour le silence et l’exercice sans entrave de la règle monastique, il aménagea en plein champ une petite cellule isolée où il passa le temps de son séjour dans sa patrie. Au cours de cette période de sa vie, il conversait parfois avec les enfants du village qui venaient chez lui. Il nous racontait ses très intéressantes observations de l’âme enfantine, comment dès la plus petite enfance, l’âme humaine peut se déterminer dans sa relation à Dieu.

Les conversations rapportées ici sont la reproduction de celles qu’il avait alors avec les enfants. Il est possible que la lumineuse image d’un moine aimant se gravait dans les âmes pures des enfants, mais on doit bien remarquer que d‘après leur contenu, les paroles du starets n’étaient accessibles qu’aux adultes.

Les jeunes enfants courent dans les prés, cueillent des fleurs, chantent et se réjouissent parce que la grâce de Dieu les remplit de joie. Mais voilà qu’ils voient le moine et lui disent :

– Regarde : le Seigneur a orné le ciel d’étoiles et la terre avec des rivières et des jardins, les aigles volent bien haut sous les nuages et jouissent de la beauté de la nature, les oiseaux chantent gaiement dans les taillis et dans les champs, alors que toi, moine, tu es là dans ta cellule et tu ne vois pas toute la beauté divine. Tu es assis là et tu pleures. Sur quoi pleures-tu dans ton étroite cellule alors que le soleil luit, le monde entier est revêtu de splendeur, et la joie est partout sur terre ?

C’est ainsi que les enfants questionnaient le moine, mais il leur répondait :

– Mes enfants ! vous ne comprenez pas mes pleurs. Mon âme pleure sur vous, parce que vous ne connaissez pas Dieu, qui a créé toute cette beauté. Mon âme le connaît et je vous souhaite cette connaissance à vous tous, et pour cela je suis dans la peine et je prie Dieu dans les larmes, pour que vous aussi vous connaissiez le Seigneur par l’Esprit Saint.

– Que signifie connaître le Seigneur par l’Esprit Saint.

– Mes enfants, il n’est pas possible de connaître le Seigneur par l’intelligence. Mais lisez les Saintes Écritures, s’y trouve la grâce, qui vous charmera, et ainsi vous connaîtrez le Seigneur, et avec joie vous oeuvrerez pour lui, jour et nuit. Et lorsque vous connaîtrez le Seigneur, alors s’en ira l’envie de regarder ce monde, tandis que votre âme va tendre à voir la gloire du Seigneur dans les cieux.

– Mais nous les fleurs nous plaisent, et nous aimons nous promener et nous amuser.

– Vous aimez vous promener dans les champs et cueillir des fleurs, vous aimez chanter et écouter le chant des oiseaux, mais il y a au ciel des choses bien plus merveilleuses que cela – le paradis, où demeure le Seigneur avec les anges et les saints. Là bas aussi il y a de la joie, et on y chante des chants, mais autres, meilleurs, et quand l’âme entend ces chants, elle ne peut plus jamais les oublier, et les chants terrestres ne l’attirent désormais plus.

– Mais nous aimons chanter…

– Chantez mes enfants, au Seigneur dans l’Esprit Saint, chantez dans l’humilité et dans l’amour.

– Mais pourquoi tu pleures, nous ne comprenons pas ?

– Je pleure pour vous, mes enfants. Vous regardant, je prends pitié de vous et je demande au Seigneur, qu’il vous garde, que vous connaissiez votre Seigneur et votre Créateur. Je vous regarde et voilà que vous ressemblez au Christ enfant, et je veux que vous ne perdiez pas la grâce divine, et que vous ne deveniez pas, lorsque vous serez grands, semblables à l’ennemi, à cause des mauvaises pensées. Je veux que vous ressembliez toujours au Fils de la Très Pure Mère de Dieu. C’est ce que mon âme vous souhaite. C’est pour cela que je prie. J’ai pitié de tous les enfants sur la terre et pour cela, je pleure pour tous les enfants innocents et les orphelins. Je pleure, mes enfants, sur le monde et je me fais du souci pour tout le peuple de Dieu.

– « Seigneur, envoie ta miséricorde sur les enfants de la terre, que tu aimes, et donne leur de te connaître dans l’Esprit Saint et apprends leur à te glorifier. Dans les larmes je te supplie, entends ma prière et donne-leur à tous de connaître ta gloire par l’Esprit Saint. »

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– Enfants, aimez Dieu comme l’aiment les anges dans les cieux.

– Nous n’avons jamais vu Dieu, comment pouvons-nous l’aimer ?

– Mes petits enfants chéris, pensez à Dieu toujours, pensez qu’il vous aime et qu’il vous a donné la vie pour que vous viviez éternellement avec lui et vous vous délectiez de son amour.

– Comment pouvons nous savoir que Dieu nous aime ?

– C’est aux fruits, mes enfants chéris, que l’on reconnaît l’amour : Lorsque nous sommes dans l’amour de Dieu, alors nous craignons le péché, et notre âme est dans le calme et la joie, et on a envie de se souvenir de Dieu tout le temps, et on a envie de prier et on a dans l’âme de bonnes pensées.

– Comment savoir quelles sont les pensées qui nous habitent et lesquelles d’entre elles sont bonnes ou mauvaises ?

– Pour distinguer les bonnes pensées des mauvaises il faut garder son intelligence pure en Dieu.

– Nous ne comprenons pas comment pouvons nous garder notre intelligence en Dieu, quand nous n’avons pas vu Dieu et que nous ne le connaissons pas. Et que veut dire une intelligence pure ?

– Mes enfants, réfléchissez à ce que Dieu vous voit, alors que vous ne le voyez pas. Ainsi vous vivrez toujours devant le visage du Seigneur. Bien que ce soit un petit amour, mais si vous conservez ma parole, elle vous amènera à un grand amour, et alors, par l’Esprit Saint, vous prendrez conscience de tout ce que je vous raconte aujourd’hui, et que vous ne comprenez pas encore.

Traduction Alexandre Nicolsky.
Extrait du livre de l’archimandrite Sophrony,
Starets Silouane (en russe, Paris 1952), pp. 198-199.
Ce texte ne figure pas dans la version française du livre
de l’archimandrite Sophrony, Starets Silouane,
Moine du Mont Athos 1866-1938, Vie – Doctrine – Écrits,

(Sisteron : éd. Présence, 1973 ; ré-édition à paraître
aux éditions du Cerf, 2010).


LETTRE AU HIÉROMOINE DIMITRI


Saint Silouane écrit cette lettre en mai 1938,
quatre mois avant son décès. Le destinataire fut probablement
l' anglais David Balfour, moine bénédictin devenu orthodoxe
vers 1932, suite à ses contacts avec le starets Silouane
et le père Sophrony au Mont Athos.

Le Christ est ressuscité  !

Cher Père Dimitri, bénissez  !

Je vous écris, Révérend Père, ce que j’ai observé, et vous aussi sans doute. Il est bon de se tenir assis dans sa cellule et de " s’instruire dans la loi du Seigneur nuit et jour ", car la grâce enseigne à l’âme comment il faut vivre, et l’esprit se réjouit dans le Seigneur. Les gens qui vous ont invité chez eux n’ont pas connu le Saint-Esprit ; ils trouvent leur plaisir dans le monde ; mais nous, spirituels, nous devons étudier jour et nuit dans nos cellules devant le Seigneur. Dites à celui qui vous invite : " Je vous aime et je vais aller dans ma cellule prier pour vous, c’est mieux ainsi ; je vous remercie cependant de m’avoir invité. "

Le pasteur est un homme qui prie pour le monde entier ; c’est pour cela que le Seigneur l’a choisi. S’il vous arrive parfois de parler avec des gens du monde, parlez-leur de Dieu avec force ; dites que le Seigneur nous aime et nous appelle à lui jour et nuit : " Venez à moi, vous tous qui êtes accablés, et je vous donnerai le repos... " (Mt 11, 28). Quel repos en Dieu  ! Si les hommes connaissaient ce repos, ils iraient tous travailler pour Dieu, mais le monde ne connaît pas ce repos et il nous attire à lui : " Venez nous rendre visite... " Mais nous leur dirons : " Nous n’avons pas de temps ; j’ai beaucoup à faire, c’est pourquoi je vous prie de m’excuser. " Mais si vous n’allez pas en visite, les gens vous aimeront et ils recevront de vous une grande aide. Demandez au Seigneur de vous donner le don de la parole – d’écrire et de parler – car le Seigneur aime donner ses dons à celui qui les lui demande pour lui-même et pour le peuple du Seigneur.

Si les hommes savaient combien le Seigneur nous aime, ils y penseraient jour et nuit. Quelles paroles du Seigneur : " Je vais vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu " (Jn 20, 19)  ! De quel amour et de quelle bonté sont remplies ces paroles  ! Jour et nuit il faut se préparer, humilier son âme pour que le Seigneur l’aime à cause de son humilité. Je suis pauvre en humilité ; le Seigneur m’a donné de connaître l’humilité du Christ, mais mon âme l’a perdue et je la cherche jour et nuit ; je ne l’ai pas encore trouvée, et je vous demande, ainsi qu’à tous ceux qui connaissent l’humilité du Christ, de prier pour moi. Elle est douce et agréable à l’âme ; elle est indescriptible, mais le Saint-Esprit instruit chaque âme qui cherche le Seigneur. Le Seigneur déverse sur nous beaucoup de miséricordes. Je suis malade en mon âme et en mon corps, mais lorsque je serai devenu humble, le Seigneur me guérira grâce à vos saintes prières.

Moine du grand habit Silouane Mai 1938.

Traduction Archimandrite Syméon


LETTRE À CYRILLE G. CHÉVITCH


Le destinataire de cette lettre, le futur archimandrite Serge,
avait écrit au starets Silouane pour lui faire part de son désir
de devenir moine et lui demandant sa bénédiction.
La lettre, écrite quelques jours avant le décès de saint Silouane
le 24 septembre 1938, fût trouvée sur sa table
par le père Sophrony et expédiée par lui.

Réjouis-toi, serviteur du Seigneur Cyrille  !

Le Seigneur nous aime, nous qui sommes pécheurs ; il nous appelle à lui : " Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, et je vous donnerai le repos " ; et encore : " Je vais vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu. " Ces paroles sont miséricordieuses, pleines de joie et d’amour. Donne-nous, Seigneur, l’amour du Seigneur, et à tout Ton peuple sur la terre, de comprendre par le Saint-Esprit l’amour du Seigneur. Seigneur, ramène nos âmes à Toi et guéris-les par le Saint-Esprit pour que nous comprenions comme tu nous aimes, comme tu te réjouis de Ton peuple quand il fait pénitence. tu sais, Seigneur, que les hommes qui travaillent pour Toi sont semblables à Toi ; mais celui qui pèche et ne se repent pas est semblable à l’Ennemi.

Je me réjouis de savoir que le Seigneur vous a donné le repentir et de combattre contre vous-même. Cette lutte est difficile jusqu’à ce que l’âme ait appris l’humilité et à vivre selon la volonté du Seigneur, mais lorsque l’âme aura appris à vivre selon la volonté de Dieu, elle trouvera le repos en lui, et dans l’humilité et l’amour elle s’attachera à lui. Comme on dit : va plus vite  ! car tu t’attacheras à lui. Je ne peux pas me détacher de lui, il m’est aimable, il réjouit mon âme, et ainsi chaque homme, s’il comprend par le Saint-Esprit combien le Seigneur nous aime, oubliera, à cause de l’amour de Dieu, tout ce qui est terrestre. Si les peuples connaissaient l’amour de Dieu, ils jetteraient les sciences et s’occuperaient d’une seule pensée : comment apprendre l’humilité du Christ et avec lui et en lui.

O priez pour moi tous les peuples qui connaissez la douceur du Saint-Esprit et l’amour du Seigneur. Je suis malade d’âme et de corps et mon esprit s’élance vers lui, Dieu, sans se rassasier, jour et nuit ; niais je n’ai pas trouvé ce que je désire, mon âme n’a pas encore trouvé l’humilité du Christ dont parle le Seigneur : " Apprenez de moi que je suis doux et humble. " Quand l’âme est humble, elle n’a pas alors de mauvaises pensées, mais l’Esprit de Dieu la réjouit et la dirige pour qu’elle vive selon les commandements du Seigneur.

Je vous écris , mon âme vous a beaucoup aimé. Vous êtes mon frère en Christ que le Seigneur a aimé à cause du repentir. Dites le plus possible aux gens : " Faites pénitence  ! "

Moine du grand habit Silouane
Sainte Montagne de l’Athos
[septembre 1938]

Traduction Hiéromoine Jean.

 

Dernière modification: 
Mardi 2 mai 2023