Pères et mères dans la foi

Saint Innocent de Moscou et d'Alaska

On peut lire dans les registres de l’état civil de la ville d’Anginskoe du district d’lrkoutsk, en Sibérie orientale, cette banale inscription : Le 26 août 1797, la femme du sacristain de l’église Saint Élie le Prophète, Eusèbe Popov, a donné naissance à un fils qui a été prénommé Jean.

Ainsi commença la vie terrestre de celui qui devait devenir le grand et saint évêque innocent Veniaminov. Son père, bien que d’une très mauvaise santé, s’occupa lui-même de l’instruction du petit garçon dès que ce dernier eût atteint l’âge de cinq ans, et en moins d’un an Jean sut lire et écrire. Eusèbe mourut peu après, à l’âge de quarante ans, laissant sa femme et ses quatre enfants dans un grand dénuement. Son frère, Dimitri Popov, diacre de la même paroisse, recueillit l’enfant et prit en main son éducation. Jean était très doué, si bien qu’à sept ans il était chargé de lire l’épître pendant la Divine Liturgie et le faisait d’une voix si claire et si vibrante que les paroissiens en étaient fort édifiés. Devant ses succès et l’affection de tous envers lui, sa mère essaya de le faire nommer au poste de son père, resté vacant, ce qui lui aurait permis de subvenir aux besoins de la famille. Mais telle n’était pas la volonté de Dieu. À l’âge de neuf ans, Jean, dont l’intelligence était pleine de promesses, fut envoyé au séminaire théologique d’lrkoutsk.

Au séminaire, Jean devint rapidement le meilleur élève de sa classe. II était grand, bien découplé et de belle apparence, mais son caractère studieux, et sa maturité précoce, ne le rendaient pas très populaire auprès de ses condisciples, aussi passait-il une grande partie de ses loisirs dans l’atelier de mécanique du Père David. Il acquit ainsi une connaissance de la mécanique qui devait lui être très utile par la suite. Le jeune homme lisait énormément; en plus des œuvres spirituelles, il aimait étudier l’histoire, l’astronomie, la botanique et autres matières scientifiques.

L’an 1817 représenta un moment décisif pour le jeune homme. Il lui fallut à cette époque choisir entre le mariage et les études supérieures. Il opta pour le mariage et cela changea le cours de sa vie. Il termina ses études au séminaire en 1818. Jean avait été ordonné diacre en 1817 et affecté à l’église de l’Annonciation d’lrkoutsk. Lorsqu’il termina ses études au séminaire, il fut nommé professeur à l’école paroissiale. C’est le 18 mai 1821 qu’il fut ordonné prêtre. Pendant la courte période d’environ deux ans où il fut prêtre de paroisse, il gagna l’amour et l’estime de ses fidèles qui n’oublièrent jamais ,a bonté, son travail pastoral et les offices sereins et pleins de joie qu’il célébrait,

En 1823, le Saint Synode demanda à l’évêque d’lrkoutsk de nommer un prêtre pour l’île d’Unalaska (îÎle de l’archipel des Aléoutiennes qui prolonge l’Alaska) dont ‘es habitants avaient embrassé la foi chrétienne. Père Jean Veniaminov avait fait la connaissance de Jean Krukov, un russe qui avait vécu à Unalaska avec les Aléoutiens pendant près de quarante ans. Il était revenu à Irkoutsk pour tenter de convaincre un prêtre de se rendre à Unalaska. Le Père Jean raconte : « J’étais présent lorsque Jean Krukov prit congé de l’évêque. il commença à parler de l’ardeur des Aléoutiens à la prière et à l’écoute de la Parole de Dieu (que le nom du Seigneur soit béni !). Tout à coup je me sentis rempli, comme d’un feu dévorant, du désir d’aller vers de telles gens. Je me souviens clairement combien je brûlais d’impatience en attendant !e moment d’informer l’évêque de mon intention, et comme il a semblé en être surpris, me répondant simplement : Nous verrons... »

L’évêque, ne voulant pas perdre un si excellent prêtre, fit attendre sa décision pendant un certain temps. Finalement, voyant que le jeune prêtre était résolu à partir, il lui donna sa bénédiction et le nomma missionnaire pour la région d’Unalaska. C’est le 7 mai 1823 qu’une petite troupe prit le départ pour l’extraordinaire aventure. Elle était composée de cinq personnes  : le Père Jean, sa femme et leur petit garçon Kenya, la mère de sa femme et le frère du Père Jean, Stéphane, ordonné lecteur avant le départ. Ils s’arrêtèrent dans la ville natale du Père Jean, où ce dernier célébra la Divine Liturgie et dit les prières spéciales pour les voyageurs. Ils arrivèrent au fleuve Léna le 9 mai et le 29 juillet 1824, un an et deux mois après avoir quitté Irkoutsk, nos pèlerins arrivèrent enfin à destination. Le Père Jean Veniaminov, premier prêtre de cette région du monde, était arrivé dans sa paroisse.

L’une des premières tâches du Père Jean fut de construire une grande église. Les Aléoutiens furent dans l’admiration devant l’habileté et la dextérité de leur prêtre et montrèrent un grand désir d’apprendre tout ce qu’il pouvait leur enseigner. Le Père Jean construisit l’iconostase et l’autel de ses propres mains. L’église fut achevée après un an de travail et fut consacrée le 29 juillet 1826 à l’Ascension de Notre Seigneur.

Une autre tâche très importante fut d’apprendre la langue du pays et de se familiariser avec les nombreux dialectes de cette immense paroisse. L’Église orthodoxe a toujours considéré comme une nécessité impérieuse de traduire les Saintes Écritures, les services liturgiques et tout l’enseignement de la foi, dans les langues locales. Le prêtre Jean réussit rapidement à apprendre le dialecte Fox de la langue aléoute, parlé à Unalaska. Cet homme remarquable commença très tôt à créer un alphabet et à donner une forme écrite au langage des Aléoutiens. Il composa la première grammaire et traduisit — et écrivit — plusieurs livres, y compris des manuels professionnels et techniques, des livres de classe, ainsi que des textes liturgiques.

La paroisse d’Unalaska s’étendait sur de vastes distances, comprenant de nombreuses îles. Le Père Jean faisait ses tournées dans de petites pirogues aléoutiennes (bidarka), où il devait se trouver très à l’étroit. Le climat est excessivement rude : du brouillard et des vents très forts presque toute l’année avec cinquante jours au maximum de beau temps par an.

Le Père Jean relate un épisode extraordinaire d’un de ses voyages, qui révèle la ferveur profonde avec laquelle certains Aléoutiens accueillaient la foi orthodoxe, Le sacré n’était d’ailleurs pas absent de leur vie avant l’arrivée du prêtre.

« En 1828, raconte le Père Jean, je me rendis en bidarka à l’île d’Akun. C’était pendant le Grand Carême et je devais préparer les Aléoutiens à la Sainte Communion. Lorsque j’approchais de l’île, je fus surpris de voir les habitants du village vêtus de leur plus beaux habits réunis sur le rivage pour m’attendre. Devant mon étonnement, ils m’expliquèrent qu’ils savaient que J’arrivais et qu’ils étaient venus me souhaiter la bienvenue et me manifester leur joie. Le shaman. le vieux Smirennikov, leur avait dit que je devais arriver ce jour-là pour leur parler de Dieu et leur enseigner comment prier. Il m’avait décrit exactement sans m’avoir jamais vu. »

Dlx années de fécond travail s’écoulèrent pour le Père Jean à Unalaska. Pendant cette période, il rédigea son fameux sermon Sur la voie qui mène au Royaume de Dieu en dialecte fox-aléoute, traduit depuis en tlingit, en français et en anglais, et qui a eu 46 éditions en russe. Son Catéchisme et son Histoire de l’Église du Christ ont aussi été publiés en tlingit, mais son ouvrage le pus fameux sur le plan international est son livre de 658 pages Notes sur les îles de la région d’Unalaska. Ce livre, divisé en trois parties  : deux sur les Aléoutiens et une sur les Tlingits, contient des informations scientifiques très étendues dans les domaines de l’ethnologie, la topographie, la climatologie, la minéralogie, la démographie, ainsi que des statistiques importantes et des renseignements sur la flore, la faune et les coutumes nationales. Tous les manuels utilisés à l’école étaient écrits par lui. En dépit de tout cela, c’est avec une grande humilité que le Père Jean souligne  : « Je dois plus aux Aléoutiens qu’ils ne me doivent, eux, pour mon travail, et je ne les oublierai jamais ». Il faut ajouter que les Aléoutiens avaient un grand amour pour leur prêtre, le suivant partout et l’écoutant sans se lasser.

Le Père Jean et sa famille passèrent les premières années de leur séjour dans une hutte souterraine en attendant que soit prête la maison de bois que le Père Jean construisait. Tout dans la maison fut façonné par lui, y compris l’horloge. Le Père ne restait jamais inactif, il passait ses soirées à des travaux de mécanique ou à enseigner aux enfants. Il aimait les emmener faire de longues promenades et leur apprendre connaître la nature.

Au bout de dix années de cette vie, le Père Jean fut muté à la Nouvelle Arkhangelsk (aujourd’hui Sitka). Le Père Jean et sa famille arrivèrent à la Nouvelle Akhangelsk en 1834 pendant la grande épidémie de variole qui emporta plus de dix mille personnes en Alaska méridional. Plus de la moitié de la population Tlingit périt.

L’épidémie ne toucha la région de Sitka qu’en 1836. Le Père Jean n’avait pas encore pu établir avec les Tlingits des liens d’amitié qui lui auraient permis de pénétrer dans leurs maisons. Il ne le regretta pas car, dira-t-il plus tard : « Imaginez ce qu’auraient pensé les Tlingits si l’épidémie s’était répandue après ma visite dans leurs foyers ? » Cependant. c’est cette épidémie qui lui permit de gagner la confiance et l’amitié des habitants. Il commençait déjà à parler leur langue et essayait depuis quelque temps de leur faire accepter la vaccination à laquelle lis étaient très hostiles. Les shamans encourageaient d’ailleurs cette réticence. Au bout de peu de temps, toutefois, les Tlingits remarquèrent que les Russes étaient moins atteints qu’eux de la maladie. Ils commencèrent enfin à comprendre que le prêtre russe essayait sincèrement de les aider et ils vinrent alors demander à être vaccinés.

Le Père Jean accompagna le médecin, le docteur Bliashke, dans les villages où ils vaccinèrent tous ceux qui le leur permirent. Le fait que l’épidémie prit fin peu de temps après la campagne de vaccination fit une profonde impression sur les Tlingits, qui se montrèrent dès lors plus disposés à écouter le prêtre, d’autant plus que ce dernier leur parlait dans leur propre langue. Le Père Jean se mit avec son ardeur habituelle à traduire les livres saints en tlingit, à ouvrir des écoles, et à établir des programmes d’instruction pour les adultes.

Pour subvenir aux besoins de la mission, le Père Jean créa un atelier de mécanique, où l’on fabriquait des orgues de Barbarie pour l’exportation vers les territoires espagnols de la Californie. Les Tlingits et les Haïdas aimaient la technologie et se montrèrent pleins de zèle pour seconder leur prêtre. Pendant cinq ans, le Père Jean travailla sans répit, avec amour et patience, pour faire dans ce nouvel endroit ce qu’il avait déjà accompli à Unalaska. C’est pendant cette période qu’il écrivit ses Notes sur le Tlingit, le Konlak et autres langues de l’Amérique Russe.

Ce grand missionnaire amena ainsi une multitude d’hommes à l’Église, se préoccupant toujours profondément de leurs besoins spirituels. En premier lieu il fallait assurer la continuité de leur vie eucharistique et de leur participation à tous les sacrements. Pour cela on avait besoin de nombreux livres en langue du pays et de prêtres pour desservir les paroisses disséminées dans un vaste périmètre. Les communications avec le Synode de l’Église Russe, à plusieurs milliers de kilomètres, étaient difficiles et très lentes. Le Père Jean décida donc d’entreprendre le long et pénible voyage de Saint-Pétersbourg, en passant par le cap Horn et la mer Baltique. Il renvoya sa famille à Irkoutsk, ne gardant auprès de lui que sa fille Thekla. Le navire Saint Nicolas leva l’ancre dans la baie de Sitka le 8 novembre 1838. Le voyage devait durer huit mois.

À Saint-Pétersbourg, le Père Jean présenta ses pétitions au Saint Synode et, en attendant ses décisions, entreprit de faire connaître au peuple russe l’Alaska et les missions orthodoxes. Il visita divers centres et se rendit ensuite à Moscou pour y rencontrer le métropolite Philarète. La sympathie entre les deux hommes fut immédiate. Le métropolite disait souvent de Veniaminov : « Il y a quelque chose d’apostolique dans cet homme-là ». Finalement, beaucoup de gens s’intéressèrent à cette affaire et une somme considérable fut réunie pour la mission.

Lorsque le Père Jean revint à Saint-Pétersbourg à l’automne, il apprit que ses demandes avaient été acceptées  : ses traductions seraient publiées, des prêtres seraient envoyés en Alaska, et la mission serait soutenue.

Pendant les fêtes de Noël 1839, le prêtre Jean fut élevé au rang d’archiprêtre. Tout semblait lui sourire lorsqu’un courrier d’lrkoutsk lui apprit que sa femme bien-aimée venait de mourir. Le métropolite Philarète qui avait pour lui beaucoup d’affection et d’estime, lui conseilla alors de se faire moine, mais dans sa douleur le Père Jean ne savait quelle décision prendre  : il avait six enfants selon la chair et des milliers d’enfants spirituels. Il décida de se rendre à Kiev, l’antique cité sainte, et d’y prier pour demander à Dieu de le guider.

II en revint résolu à accepter la tonsure monastique. On accorda des bourses à ses enfants  : ses deux fils furent inscrits à l’Académie théologique de Saint-Pétersbourg et ses quatre filles dans un excellent pensionnat. Et le 29 novembre 1840 le Père Jean devint moine prenant le nom d’innocent, à la suite de Saint innocent d’lrkoutsk, le premier saint patron de l’Alaska,

Entre temps, le Saint Synode avait élevé la mission d’Alaska au rang d’évêché. L’empereur Nicolas ayant à choisir entre trois candidats, désigna Innocent Veniaminov comme évêque d’Alaska. C’est le 15 décembre 1840, dans la cathédrale de l’icône de Kazan de la Théotokos, que le prêtre missionnaire fut consacré évêque du Kamtchatka et des îles Kouriles et Aléoutiennes, devenant, en nom et en fait, l’apôtre des Alaskans.

Le nouvel évêque partit pour la Nouvelle Arkhangel (Sitka), le 10 janvier 1841. lI s’arrêta à lrkoutsk pour prier sur la tombe de sa femme, celle qui avait été sa compagne de tant d’années de peines et de joies partagées. Les citoyens d’lrkoutsk lui firent un accueil enthousiaste. Beaucoup d’entre eux se souvenaient encore du prêtre de paroisse chaleureux, plein d’amour et de compassion. Les cloches des églises sonnèrent et tout le clergé vint lui offrir des vœux de longue vie. II célébra la Divine Liturgie et un service d’actions de grâces dans son ancienne paroisse.

L’évêque Innocent Veniaminov arriva à la Nouvelle Arkhangelsk le 27 septembre 1841. lI se mit aussitôt au travail avec fougue, pour rattraper ses trois années d’absence. Pour commencer il prit la décision de faire reconstruire la vieille église de Saint Michel l’Archange, construite en 1816 par le Père Alexei Sokolov, et qui tombait en ruines. II posa la première pierre d’un séminaire qui devait continuer d’exister jusqu’en 1859. Il fit construire plusieurs écoles pour les Tlingits, ainsi qu’un orphelinat et façonna de ses propres mains une grande partie des beaux meubles de sa résidence.

Son diocèse était immense, enjambant les mers septentrionales d’un continent à l’autre. Les habitants appartenaient à des tribus nomades ou semi-nomades et les quelques villages et cités se trouvaient disséminés dans de vastes régions sauvages encore peu connues. En dépit de tout, l’apôtre de l’Alaska était bien résolu à s’occuper personnellement de son troupeau. Il entreprit donc de longues et hasardeuses tournées pour rendre visite aux plus lointaines extrémités de son territoire, C’est ainsi qu’il lui fallut trois mois pour atteindre Petropavlovsk dans le Kamtchatka (cité fondée par Vitus Béring qui donna son nom au détroit). Partout ce bon pasteur fondait des écoles, si bien que les indigènes eurent bientôt un taux d’alphabétisation supérieur à celui des Russes habitant en Sibérie. Le fameux marchand de livres itinérant, I.I. Golubev, affirme qu’il a distribué plus de 18.000 livres dans le diocèse de l’évêque Innocent au cours d’une seule tournée, ce qui constitue un beau témoignage sur l’œuvre éducatrice de l’apôtre.

Les chrétiens de ces réglons éprouvaient des difficultés à adapter leur mode traditionnel de calculer les jours et les saisons, de façon à pouvoir connaître exactement les jours de fêtes et de jeûnes de l’Église. L’évêque Innocent inventa un calendrier ingénieux basé sur l’appareil utilisé par les Chuk’chi et autres tribus sibériennes en y adaptant des chevilles que l’on déplaçait d’un trou à l’autre selon les jours.

Innocent réussit en 1844 à mettre enfin en chantier la construction d’une nouvelle cathédrale qui fut terminée en 1848 et consacrée lors de la fête de l’Entrée de la Mère de Dieu au Temple. Aussitôt après, il fit construire une église tlingit dans le village de cette communauté.

Deux ans plus tard, l’évêque fut élevé au rang d’archevêque et muté à Yakoutsk. L’archidiocèse incluait maintenant l’Alaska et le Kamtchatka. À Yakoutsk, l’infatigable Innocent entreprit de faire commencer la traduction des Livres saints et des offices dans la langue yakoute. Le 19 juillet 1859 l’archevêque lui-même célébra joyeusement la Divine Liturgie et lut l’Évangile en langue yakoute pour la première fois. Les habitants en furent si heureux qu’ils demandèrent la permission d’ajouter cette date au calendrier des fêtes de l’Église. Des traductions en langue tungus furent également faites à cette époque.

En juin 1857, Innocent se rendit à Saint-Pétersbourg pour participer au Concile général des évêques. C’est alors que deux évêques furent désignés pour l’assister dans sa tâche  : l’évêque Paul pour Yakoutsk et l’évêque Pierre pour Sitka. Sur le chemin du retour l’archevêque passa par la région du fleuve Amour, visitant les paroisses et les communautés pour juger de leur situation et de leurs besoins spirituels. Tout le long du fleuve il s’arrêtait dans chaque village pour y célébrer les offices.

Il lui arrivait, en outre, de demander brusquement qu’on arrête le bateau dans une agglomération riveraine et se mettait à prêcher à tous ceux qui se trouvaient là. Rien ne restait caché au pasteur : il voyait et comprenait toutes les misères et tous les besoins du peuple aussi bien sur le plan matériel que sur le plan spirituel.

Finalement, il ressentit une telle compassion pour tous ces gens qu’il décida de vivre parmi eux. En 1862, il s’installa à Blagoveshchensk. La fatigue et l’âge commençaient à faire sentir leurs effets et la vue d’Innocent baissait beaucoup. Il crut devoir demander au Saint Synode la permission de prendre sa retraite. Il pensait que les fidèles avaient besoin d’un évêque plus jeune et plus énergique. Mais Dieu en décida autrement une fois encore. Le 19 novembre 1867 le métropolite Philarète rendit son âme bénie à Dieu. Le Synode et les autres évêques furent unanimes à penser que l’archevêque Innocent devait lui succéder.

Lorsqu’il reçut le message lui demandant de se rendre immédiatement à Moscou, Innocent en fut fort troublé. Mais il avait toujours été obéissant à la volonté de Dieu et après une nuit en prière, il commença ses préparatifs de départ. Son voyage à travers la Sibérie fut triomphal car il était profondément aimé et vénéré. Partout des foules l’accueillaient avec des larmes et des prières, regardant partir leur bon pasteur en sachant qu’elles ne reverraient pas en ce monde son visage béni.

Le 25 mai 1868, à 21 h. 30, les cloches de Moscou commencèrent sonner pour annoncer que le nouveau Premier hiérarque entrait dans la ville. Le lendemain il fit officiellement son entrée dans sa cathédrale, l’ancienne cathédrale de la Dormition. Prenant la parole avec beaucoup d’humilité pendant la cérémonie d’intronisation, il déclara : « Qui suis-je pour oser reprendre la parole et assumer l’autorité de mes prédécesseurs ? Un étudiant d’une autre époque, venant d’un pays lointain, qui a passé plus de la moitié de sa vie aux frontières; qui n’est qu’un modeste ouvrier dans la vigne du Seigneur, un maître pour les petits enfants et ceux qui sont fermes dans la foi. »

Et le prélat, maintenant âgé de près de soixante-douze ans, oubliant qu’il était malade, exténué et presque aveugle, se mit à la tâche avec la foi, l’espérance, l’amour et l’enthousiasme dont il avait toujours fait preuve. Il réorganisa l’administration de l’Église russe ; les écoles furent améliorées ; de nouveaux organismes d’assistance aux orphelins, aux veuves et aux indigents furent créés ; les hôpitaux et les asiles reçurent un meilleur équipement et leur administration fut rendue plus humaine. En 1869 il redonna une vie nouvelle à la Société orthodoxe missionnaire, qui était désorganisée, et la mit en mesure de venir en aide aux paroisses missionnaires.

Le métropolite Innocent était âgé de 81 ans en 1879. Il avait consacré 58 années de sa vie au service de l’Église du Christ et était maintenant aveugle et faible. Vers la fin du Grand Carême il sentit que la mort approchait. II était prêt. Dans la soirée du 30 mars, il demanda au Père Arsène qui s’occupait de lui de lui lire les prières pour le départ de l’âme, et à l’aube du Samedi Saint l’âme du vénérable missionnaire quitta son corps pour le grand passage, l’éternelle Pâque. Ses dernières paroles résument toute sa vie : « Que l’on ne prononce pas d’éloges à mes funérailles mais que l’on glorifie plutôt la parole du Seigneur. Que l’on fasse un sermon qui édifie sur le thème suivant  : « Le Seigneur guide les pas de l’homme » (Ps 36, 23).

Il repose dans le cimetière de la Laure de la Sainte Trinité-Saint-Serge, à côté du tombeau du métropolite Philarète.

Extrait de la revue Contacts, XXXII, 1980. Traduction J.B.
Texte original, Kyrill and Methody Society, Juneau(Alaska),
Synaxis Press, Chilliwack C.B., Canada, 1976.

Lire aussi le texte de saint Innocent : « Prendre sa Croix »,
extrait de son oeuvre Sur la voie qui mène au Royaume de Dieu


TROPAIRES ET KONDAKIA

Tropaire, Ton 4

Saint Père Innocent, * tu enduras les épreuves et les dangers * obéissant à la volonté du Seigneur. * A bien des peuples tu apportas la connaissance de la Vérité. * Tu nous montras la Voie; * maintenant par tes prières * aide-nous à accéder au Royaume des Cieux.

Kondakion, Ton 2

Saint Père Innocent, tu fus un Apôtre pour notre pays. * Ta vie proclame l'oeuvre du Salut et la grâce de Dieu! * Tu affrontas les dangers et les difficultés * pour l'Evangile du Christ; * tu demeuras sain et sauf et tu fus glorifié en ton humilité. * Prie afin que le Seigneur guide nos pas selon sa Volonté.

Autre tropaire, Ton 1

Par tous les pays du grand Nord * a retenti ton message, Père saint: *  ils ont reçu la parole que tu leur as si bien enseignée, * illuminant à la clarté de l'Evangile ceux qui n'avaient pas connaissance du Christ * et poliçant les moeurs et les coutumes des païens, * pontife Innocent, fierté de la Russie; * intercède auprès de notre Dieu * pour que nos âmes soient sauvées.

Autre tropaire, Ton 3

Premier docteur des tribus païennes jadis enténébrées, * leur premier illuminateur sur la voie du Salut, * toi qui as éclairé par tes labeurs apostoliques la Sibérie et l'Alaska, * prie le Maître de l'univers * de faire au monde le don de la paix * et d'accorder à nos âmes la grâce du salut.

Autre kondakion, Ton 4

Tu fus sincère et vrai dans ton enseignement * car, observant toi-même les préceptes du Seigneur, * tu fus à même d'en instruire ceux de tes enfants * qui avec piété s'approchèrent de toi; * aux incroyants tu fis connaître la vraie foi * et par le baptême tu les illuminas; * c'est pourquoi en compagnie des Apôtres tu te réjouis, * pontife Innocent, comme porteur de la bonne nouvelle du Christ.

Ikos

Dans les régions de la Sibérie et de l'Alaska, * tu fus le premier à semer les spirituelles vertus, * pontife et docteur, parmi les peuples illuminés par toi * et tu fis passer nombre de païens de l'incroyance à la foi en Christ, * les invitant à plaire à Dieu par la pureté de leur vie; * c'est pourquoi nous te glorifions, pontife Innocent, * comme porteur de la bonne nouvelle du Christ.

Dernière modification: 
Lundi 30 janvier 2023