Les Psaumes, prières de l'Église
Le Roi, Prophète et Psalmiste David
(Détail d'une icône de Novgorod,
fin du 15e siècle)Présentation
Higoumène Placide Deseille :
L’interprétation chrétienne des Psaumes
Le Psautier, livre de prières de l'Église
Notes
Thèmes des Psaumes
PRÉSENTATION
Depuis l'Église primitive, les psaumes ont été le fondement de la prière liturgique de l'Église. Selon les Actes des Apôtres, l'Église de Jérusalem utilisaient les psaumes dans ses rassemblements ; elle suivait ainsi l'usage liturgique de la synagogue. Jésus lui-même cite à plusieurs reprises des versets des psaumes et avant de quitter la Chambre Haute de la Sainte Cène, il chante avec ses apôtres les psaumes, qui selon usage, clôturaient le repas pascal (cf. Mt 26, 30 et Mc 14, 26).
Le Psautier est la base de la Prière des heures, avec des psaumes fixes ou invariables et la lecture du Psautier en continue à certains offices de la journée. Pour cette lecture continue, les 150 psaumes sont divisés en 20 cathismes, dont chacun comprend trois parties ou stases. Les cathismes sont repartis à différents offices, selon le temps liturgique et le jour de la semaine.
En plus des psaumes qu'on récite en entier, on retrouve des versets psalmiques à différents moments de la Prière des heures et de la Divine Liturgie, par exemple, les prokimena, les versets des Alléluia et les chants de communion sont largement sinon entièrement composés d'extraits de psaumes.
Le psautier est une forme de prière facilement accessible à tous. Toutes les formes de la prière y sont représentées, depuis la prière de supplication pour l'assistance divine en diverses circonstances et la repentance pour ses fautes, à la reconnaissance pour les bienfaits divins, l'action de grâces et la louange de Dieu. Les psaumes ne sont pas des textes à lire - une simple lecture risque de passer à côté de leur beauté, de leur sagesse et de leur profondeur - mais ils sont d’abord des mots à prier. La récitation attentive et priante des psaumes nous place immédiatement devant le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob et nous révèle à la fois sa promesse envers l’humanité dans l’Ancien Testament, et son accomplissement dans le Christ Jésus, ainsi que la mission de l'Église et le rapport entre le chrétien et Dieu.
C'est pour cette raison que le Psautier est le thème de cette page. Nous présentons deux textes du Père Placide Deseille, higoumène du Monastère Saint-Antoine-le-Grand en France, sur « L'interprétation chrétienne des psaumes » et « Le Psautier, livre de prières de l'Église », extraits de l'Introduction de sa traduction des psaumes : Les Psaumes : Prières de l'Église, YMCA-Press, 1979. Nous vous proposons aussi un classement des thèmes des psaumes, selon une lecture chrétienne, également du Père Placide. Les extraits du livre du Père Placide sont reproduits avec son autorisation.
Outre la traduction de Père Placide, il y a deux autres traductions « orthodoxes » des psaumes : le psautier des Moines de Bois-Aubry, Livre des psaumes (Abbaye Saint Michel de Bois-Aubry, F-37120 Luzé, 1993) ; et celui de Père Denis Guillaume (traducteur de la plupart des livres liturgiques du rite byzantin) : Psaumes et Cantiques (Diaconie Apostolique).
Des versets des psaumes, regroupés par thème, sont disponibles aux Pages Orthodoxes La Transfiguration à la page Versets choisis des psaumes.
L’INTERPRÉTATION CHRÉTIENNE DES PSAUMES
La " relecture " chrétienne de la Bible
Le but que visaient les Pères en commentant l’Écriture n’était pas de déterminer le sens originel des textes en tenant compte de l’état des doctrines à l’époque de leur rédaction, et de dégager le message qu’ils contenaient pour les contemporains des prophètes et des scribes inspirés. En cela, l’exégèse des Pères diffère profondément de la critique historique contemporaine. Certes, ils savent que ces textes s’inscrivent dans une histoire, ils en précisent à l’occasion — les Antiochiens surtout — le Sitz im Leben, l’insertion dans la vie de l’ancien Israël, et leur interprétation est loin d’être aussi naïve que certains seraient portés à l’imaginer. Mais la Bible est essentiellement pour eux une parole que Dieu adresse aujourd’hui à l’Église du Christ. C’est pourquoi leur attention se porte avant tout sur la réinterprétation qui en a été faite par les Apôtres et l’Église primitive ; c’est dans son sillage que s’inscrivent leurs commentaires (9).
La catéchèse de l’âge apostolique avait revêtu, dans une très large mesure, la forme d’une relecture de l’Ancien Testament à la lumière du mystère du Christ. Jésus lui-même en avait donné l’exemple : Vous scrutez les Écritures... Ce sont elles qui rendent témoignage de moi (Jn 5,39) ; Commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait (Lc 24,27). En lisant la Bible, toute l’Église des Pères ne fait que revivre l’expérience de Luc et de Cléophas : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au-dedans de nous, tandis qu’il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ?. Pour l’Église chrétienne, l’histoire du texte biblique ne s’est pas achevée avec la fin de l’ancienne Alliance ; il continue à vivre au sein de la communauté croyante, il reste pour elle Parole de Dieu vivante et agissante, et c’est le sens de cette parole que l’exégète a pour tâche de scruter et d’annoncer. Toute la liturgie orthodoxe aura pour trame cette réinterprétation chrétienne de l’Ancien Testament.
Les Psaumes et le Christ
Le Psautier est le résumé, le condensé, de toute l’Écriture. La tradition juive et la tradition chrétienne en ont eu vivement conscience. On conçoit aisément que les interprètes chrétiens y aient retrouvé, autant et plus que dans tous les autres livres inspirés, les mystères du Christ, de l’Église et de ses sacrements, les souffrances et les résurrections spirituelles du chrétien, l’annonce de la fin des temps. Avant même d’en faire le manuel fondamental de sa prière, l’Église a lu les psaumes dans ses assemblées liturgiques comme des prophéties. Saint Athanase, dans sa lettre à Marcellin (10) — qui est l’une des meilleures introductions à la lecture chrétienne des psaumes — a établi une liste (non exhaustive) des passages les plus classiques où la tradition a vu des témoignages du mystère du Christ :
" Presque chaque psaume rappelle les Prophètes. Sur l’avènement du Sauveur, et qu’il viendra en tant que Dieu, ainsi s’exprime le psaume 49 : Le Seigneur viendra dans sa splendeur, notre Dieu, et il ne gardera pas le silence ; le psaume 117 : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. Nous vous avons bénis de la maison du Seigneur. Le Seigneur est Dieu et il nous est apparu.
" Il est le Verbe du Père, comme le chante le psaume 107 : Il envoya son Verbe, et il les guérit, et il les arracha à leur corruption. Celui qui vient est lui-même Dieu et Verbe envoyé. Sachant que ce Verbe est Fils de Dieu, il fait parler le Père au Psaume 44 : Mon cœur a proféré un Verbe excellent ; et encore au psaume 109 : De mon sein je t’ai engendré avant l’étoile du matin. Qui peut-on dire engendré du Père, sinon son Verbe et sa Sagesse ? Sachant que c’est à lui que le Père disait : Que la lumière soit, et le firmament, et toutes choses, le livre des Psaumes contient aussi, au 32e : Par le Verbe du Seigneur les cieux ont été affermis, et par l’Esprit de sa bouche toute leur puissance.
" Il n’a pas ignoré la venue du Christ ; c’est même le sujet principal du psaume 44 : Ton trône, ô Dieu, est un trône éternel ; c’est un sceptre de droiture que le sceptre de ton règne. Tu as aimé la justice, et haï l’iniquité : c’est pourquoi Dieu, ton Dieu, t’a oint de l’huile d’allégresse, de préférence à tes compagnons.
" Pour que nul ne s’imagine qu’il est venu seulement en apparence, il montre qu’il sera homme, lui par qui tout a été fait, au psaume 86 : La Mère Sion dira : Un homme et un homme est né en elle, et lui-même, le Très-Haut, en a posé les fondements. C’est dire : Le Verbe était Dieu, tout a été fait par lui, et le Verbe s’est fait chair.
" Aussi, connaissant la naissance virginale, le Psalmiste ne l’a point passée sous silence, mais il l’exalte aussitôt, au psaume 44 : Écoute, ma fille, regarde et incline l’oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père ; alors le roi désirera ta beauté. C’est encore analogue à ce que dit Gabriel : Réjouis-toi, pleine de grâce, !e Seigneur est avec toi. Après l’avoir appelé Christ, il montre aussitôt sa naissance humaine d’une vierge quand il dit : Écoute, ma fille. Gabriel, lui, l’appelle par son nom, Marie, parce qu’il est étranger à sa naissance ; David, puisqu’elle est de sa race, l’appelle avec raison sa fille.
" Après avoir dit qu’il serait homme, les Psaumes montrent naturellement qu’il est passible dans sa chair. Le psaume 2 prévoit la conjuration des Juifs : Pourquoi les nations ont-elles frémi, et pourquoi ces vaines méditations des peuples ? Les rois de la terre se sont dressés, et les princes se sont ligués ensemble contre le Seigneur et contre son Christ. Au psaume 21, le Sauveur lui-même fait connaître son genre de mort : Tu m’as fait descendre dans la poussière de la mort ; des chiens nombreux m’ont entouré ; l’assemblée des méchants m’a environné. Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Ils m’ont observé, ils ont fixé les yeux sur moi, ils se sont partagé mes vêtements, ils ont tiré au sort ma tunique. Percer ses mains et ses pieds, qu’est-ce, sinon indiquer son crucifiement ?
" À tous ces enseignements, le Psalmiste ajoute que ce n’est point pour lui, mais pour nous, que le Seigneur souffre ainsi ; toujours en son nom, il dit au psaume 87 : Sur moi s’est appesantie ta colère, et au 68e : La dette que je n’avais pas contractée, il m’a fallu l’acquitter. Il a souffert une mort indue, pour nous ; la colère excitée contre nous par la transgression, il l’a chargée sur lui, qui nous dit par Isaïe : Il a pris toutes nos faiblesses, tandis que nous-mêmes, nous nous écrions dans le psaume 137 : Le Seigneur paiera en retour pour moi, et le Saint-Esprit au 71e : Il sauvera les fils des pauvres, il humiliera le calomniateur, car il a délivré le pauvre du puissant et l’indigent que personne ne secourait.
" Aussi les Psaumes prédisent-ils son ascension corporelle au ciel, au psaume 23 : Levez vos portes, princes ; et élevez-vous, portes éternelles, et le roi de gloire entrera ; au 46e : Dieu est monté au milieu des acclamations, le Seigneur au son de la trompette. Ils annoncent qu’il siègera, au psaume 109 : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. Le psaume 9 célèbre la déroute du diable : Tu as siégé sur le trône, toi qui juges selon la justice ; tu as frappé de crainte les nations et l’impie a péri.
" Le Psalmiste ne cache point que le Christ a reçu tout jugement de son Père ; il annonce sa venue comme juge au psaume 71 : Ô Dieu, donne au Roi ton jugement et ta justice au fils du roi, pour qu’il juge ton peuple avec justice et tes pauvres selon le droit ; au 49e : Il appellera les hauteurs du ciel et la terre pour juger son peuple. Les cieux annonceront sa justice, car le juge, c’est Dieu ; au 8le : Dieu s’est dressé dans l’assemblée des dieux ; au milieu d’eux, il juge les dieux.
" Beaucoup de psaumes nous apprennent la vocation des Gentils, surtout le 46e : Toutes les nations, battez des mains, acclamez Dieu avec des cris de joie ; le 71e : Devant lui se prosterneront les Éthiopiens, et ses ennemis lècheront la poussière ; les rois de Tharsis et les îles lui offriront des présents, les rois d’Arabie et de Saba lui feront des offrandes, et tous les rois de la terre l’adoreront, tous les peuples le serviront. "
Mais ce ne sont pas seulement des versets choisis qui parlent du mystère du Christ ; pour les Pères, c’est l’ensemble du Psautier qui y trouve sa clé. Déjà l’exégèse traditionnelle d’Israël — dont, précisément, les Septante comme les Targumin nous apportent l’écho — avait perçu que " le chatoiement des mille versets du psautier " s’ordonnait autour du thème central du salut messianique et de son retentissement dans la conscience de chacun des membres du Peuple de Dieu : " Ainsi les mystiques d’Israël purent-ils lire les psaumes comme l’apocalypse des déferlements eschatologiques et des libérations messianiques. Dans la lutte contre la bête, le Psautier constituait la réserve des vraies armes de combat ; chaque verset, chaque mot était un glaive, et chaque glaive avait pouvoir de mort sur les démons. Avant l’heure de la délivrance finale, le juste devait se familiariser avec la puissance des mots, comme le guerrier fourbit ses armes pour y trouver le réconfort de l’âme dans le jaillissement des feux mystiques du verbe... Le Psautier est ainsi le mémorial de l’histoire d’Israël, le livre des libérations universelles. Chaque psaume y est conçu comme un acte et une illustration d’un drame qui commence aux premiers jours de la création, se déroule aux exils et aux calvaires de l’histoire pour s’achever dans la gloire de la parousie. La scène en est l’univers tout entier : les cieux, la terre, les abîmes et l’enfer ; le temps y rejoint l’éternité et l’action se déroule du commencement à la fin du monde... Les deux acteurs de ce duel, aux frontières de la vie et de la mort, et qui s’affrontent du commencement à la fin, sont l’Innocent et le Révolté (11). "
Il suffit d’ouvrir le livre des Psaumes pour constater qu’il est fait de chants de combat, d’appels de détresse et de chants de confiance dans l’épreuve, et de cantiques de triomphe. Cette atmosphère guerrière correspond bien à la vision patristique de la Rédemption, conçue moins comme une expiation pour le péché (encore que ce motif n’en soit aucunement absent), que comme un combat victorieux du Verbe incarné contre Satan et toutes les puissances du mal.
C’est pourquoi il sera facile au chrétien qui prie avec les psaumes de reconnaître dans le peuple d'Israël ou dans le juste qui y sont mis en scène, le Christ, l’Église ou le chrétien individuel, appelé à revivre tout le combat rédempteur ; les attaques des ennemis, les épreuves et les fautes qui accablent le peuple ou le psalmiste, ce sont les assauts du démon et de toutes les forces mauvaises contre lesquels le Christ et, en lui, les siens, ont à lutter. Et les chants de victoire et de louange deviennent des cantiques célébrant la Résurrection et le Règne du Christ, l’instauration de l’Église, les résurrections spirituelles du chrétien et la restauration universelle de la création à la Parousie. Jérusalem, c’est l’Église ; la terre promise et ses biens, ce sont les dons spirituels du Nouveau Testament et les récompenses eschatologiques ; la Loi divine devient la Loi nouvelle promulguée par le Christ et inscrite dans nos cœurs par l’Esprit-Saint.
LE PSAUTIER, LIVRE DE PRIÈRES DE L’ÉGLISE
À la lumière de l’interprétation que le Nouveau Testament suggère déjà et que les Pères ont développée, chaque psaume peut être considéré soit comme une prophétie qui parle du Christ, soit comme une prière que le Christ adresse à son Père, soit comme une prière que l’Église ou le fidèle adresse au Christ ; souvent d’ailleurs, ces aspects interfèrent et se recouvrent. Il était dès lors normal que le Psautier devienne le livre de prières par excellence de l’Église (12).
La récitation suivie du psautier
La tradition nous met en présence de diverses manières d’utiliser les psaumes : récitation suivie du Psautier ; choix de certains psaumes ; choix de versets adaptés à des circonstances particulières. La première consiste en une lecture ou une récitation des psaumes, en suivant leur ordre numérique. C’est le type de récitation que prévoient les règles de la stichologie des psaumes à l’office. Mais cette récitation suivie était utilisée aussi dans la prière solitaire, et de nombreux témoignages nous montrent des hommes de Dieu qui consacraient une grande partie de leurs nuits ou de leurs journées à cette lecture du psautier. L’un des plus évocateurs nous est fourni par le Discours au sujet de l’abbé Philémon, contenu dans la Philocalie :
" Voici quelle était la liturgie du saint vieillard Philémon : la nuit, il psalmodiait paisiblement tout le Psautier avec les cantiques et récitait une péricope de l’Évangile. Le reste du temps, il se tenait assis, disant à part soi : Seigneur, aie pitié! et cela si longtemps qu’il ne pouvait plus le prononcer. II donnait le reste au sommeil, et, vers l’aube, il psalmodiait Prime, puis s’asseyait sur son siège, tourné vers l’Orient, tantôt psalmodiant, tantôt récitant par cœur un passage de l’Apôtre [les Épîtres] et de l’Évangile. C’est ainsi qu’il faisait chaque jour, psalmodiant et priant sans cesse et se nourrissant de la contemplation des choses célestes, au point que son esprit était souvent élevé à la contemplation et qu’il n’aurait su dire s’il était encore sur la terre... Un jour, un frère lui demanda : " Pourquoi, Père, plus qu’en toute autre Écriture divine, trouves-tu tant de douceur dans le Psautier, et pourquoi en le récitant paisiblement, parles-tu comme si tu étais en conversation avec quelqu’un ? Il lui répondit : " Je te l’affirme, mon enfant, Dieu a imprimé la force des psaumes dans ma pauvre âme, comme pour le Prophète David. Je ne saurais plus être séparé de la douceur des contemplations multiformes qui s’y trouvent. Car les psaumes contiennent toute la divine Écriture (13). "
Cette lecture cursive du Psautier s’enracine dans la tradition juive elle-même, qui avait reconnu que le groupement et l’ordre des psaumes, loin d’être arbitraire, suivait une progression assez rigoureuse : " Le premier livre est presque entièrement consacré à nous décrire les péripéties de la guerre que le Réprouvé livre au Juste... L’accent dominant est celui des douleurs... Le livre deuxième nous introduit dans un univers dominé par des accents plus sereins. Non plus le drame de la guerre contre le réprouvé, mais celui des exils de l’âme... Les 17 psaumes du livre troisième constituent la collection médiane, la plaque tournante du Psautier. Elle est massive, statique, implacable méditation du passé dans l’attente des fins dernières... Le juste puise dans l’histoire les raisons de son espérance invincible... Avec le quatrième livre, le cap des sacrifices semble franchi ; nous pénétrons dans la joie sans mélange des puissances du Seigneur. La gloire de Dieu, sa sublimité, son Règne victorieux..., tels sont les thèmes de l’admirable série 90-101... Le livre cinquième nous fait gravir les derniers sommets de la montagne sainte (14). "
Saint Hilaire de Poitiers, s’attachant à la division des 150 psaumes en trois séries de 50, affirme que toutes tendent au même but, qui est de faire connaître le Christ et son œuvre de salut ; mais chacune a son caractère particulier : la première vise notre affranchissement du péché ; la seconde enseigne la guérison par la pratique des vertus ; la troisième fait pressentir l’exaltation de l’homme après sa mort (15).
Saint Grégoire de Nysse, qui suit la division en cinq livres, voit dans l’ordre des psaumes " un enchaînement significatif, akolouthia, par lequel, du psaume 1 au psaume 150, nous sommes conduits par la main du début de la vie spirituelle jusqu’à son sommet, qui est participation à la béatitude au sens absolu, celle de Dieu même. Mieux, la division traditionnelle du psautier en cinq parties structure en cinq degrés distincts cette ascension progressive vers la béatitude (16). " L’établissement de semblables correspondances entraîne inévitablement, dans le détail, certains artifices, mais il est indéniable que la simple lecture suivie du Psautier rend aisément sensible une progression qui, dans l’ensemble, correspond au mouvement que les Pères y ont décelé.
L’usage de psaumes et de versets choisis
Pour être fructueuse la récitation suivie du Psautier présuppose une connaissance approfondie de l’Écriture qui a toujours été l’apanage des moines et des chrétiens plus fervents et plus formés. C’est pourquoi, dans la liturgie des églises séculières, on recourait plus volontiers à des psaumes choisis en fonction de l’heure — par exemple les psaumes 148, 149 et 150 à l’office du matin, le psaume 140 à celui du soir, le psaume 50 en maintes circonstances — ou des fêtes liturgiques. De même, dans la prière personnelle, il est possible de recourir à des psaumes variés, en fonction des besoins du moment : saint Athanase, dans sa lettre à Marcellin déjà citée, dresse un long catalogue des psaumes, classés par sujets.
Une autre manière encore d’utiliser les psaumes est d’employer des versets isolés ou des groupes de versets, également en fonction de nécessités précises. C’est le cas, dans les livres liturgiques, des versets, des répons, des prokimena qui jalonnent les offices. Dans la prière personnelle, le choix des versets sera commandé par les besoins de l’âme, la nature des tentations à vaincre ou des sentiments à exprimer. Ici encore, la Vie de saint Antoine nous donne un exemple en quelque sorte archétypique de cet usage des psaumes : Antoine oppose à la tentation les versets du psaume 67 que la tradition liturgique a liés indissolublement à la célébration pascale de la victoire du Christ : Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés, et que ceux qui le haïssent fuient devant sa face (17). Manière significative de suggérer que dans l’ascète, c’est le Christ qui revit son triomphe sur Satan. L’" antirrhétique " d’Évagre le Pontique — dont le choix s’étend d’ailleurs à des versets de toute l’Écriture — est l’exemple le plus systématique de cet usage dont les vies des saints offrent d’innombrables témoignages.
Les psaumes et la prière monologique
Le recours à des versets isolés de psaumes nous met sur la voie de ce que les Pères appelleront la " prière monologique ", ou prière faite d’une seule parole, d’une seule phrase brève, très fréquemment répétée (18). Saint Cassien, qui est le premier à exposer d’une manière détaillée la " tradition secrète " des Pères du désert à ce sujet, donne précisément comme formule à cette prière un verset psalmique, le " Dieu, viens à mon aide ; Seigneur hâte-toi de me secourir " du psaume 69. Il voit dans la répétition inlassable de ce verset un merveilleux instrument de purification du cœur et de simplification intérieure, une sorte d’épiclèse divinement efficace, apte à attirer sur l’âme l’effusion gratuite des plus hauts dons de contemplation (19). Le texte, cité plus haut, de la vie de l’Abbé Philémon est un témoin de l’usage analogue, qui a tellement marqué la liturgie orthodoxe, du Kyrie éleison indéfiniment repris. Mais le Kyrie eleison n’est-il pas un des leitmotive du Psautier, le principal peut-être ?
Au sein de l’Orthodoxie, des traditions spirituelles diverses pourront mettre l’accent tantôt sur la psalmodie, tantôt sur la prière monologique, dont la " prière de Jésus " est devenue peu à peu la formule privilégiée. Sans préjudice de cette légitime diversité, le conseil de saint Jean de Gaza demeurera la règle d’or en la matière : " Est-il bon de s’adonner au " Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ", ou bien vaut-il mieux dire par cœur des passages de la Sainte Écriture et réciter des Psaumes ? — Il faut faire les deux, un peu de l’un et un peu de l’autre. Car il est écrit : Il fallait faire ceci sans omettre cela (Mt 23,23) (20).
Les Psaumes et la " théoria "
De par son caractère discursif, la psalmodie ressortit à la praxis, à la phase active de la vie spirituelle. " Nous qui sommes imparfaits, dit saint Jean Climaque, nous avons besoin non seulement de la qualité, mais de l’abondance quantitative des mots pour notre prière ; en effet, cette dernière procure la première. Il est dit en effet : Il donne une prière pure à celui qui prie assidûment, même si sa prière est entachée de divagations et pénible (21). " C’est cette prière persévérante, dont la qualité viendra seulement de l’effort incessant, sans cesse mis en échec et sans cesse repris, que nous faisons pour être attentifs aux mots que nous prononçons, pour y " enfermer notre pensée ", qui nous acheminera, s’il plaît à Dieu, vers la " prière véritable " que l’Esprit-Saint lui-même fait sourdre dans nos cœurs (22). Alors — mais alors seulement — vaudra le conseil de saint Grégoire le Sinaïte : " Quand tu vois la prière opérer et s’exercer dans ton cœur sans s’arrêter, ne l’arrête pas ni ne te lève pour psalmodier, à moins que, par une disposition divine, elle ne te quitte la première. Car ce serait quitter Dieu au dedans pour lui parler au dehors et se détourner des hauteurs vers la terre... (23). "
Extraits de : Les Psaumes : Prières de l'Église,
par Higoumène Placide Deseille (YMCA-Press, 1979).
Reproduit avec l'autorisation de Père Placide.
NOTES
9. Sur le rôle de l’Ancien Testament dans la catéchèse des premiers siècles, cf. J. DANIELOU et R. du CHARLAT, La catéchèse aux premiers siècles, Paris, 1968, notamment p. 82 ss. Sur l’interprétation chrétienne des psaumes chez les Pères et dans les liturgies. cf. À. ROSE, Psaumes et prière chrétienne, Bruges. 1965 ; idem, " L’influence des Psaumes sur les annonces et les récits de la passion et de la résurrection, " dans Le Psautier. Ses origines. Ses problèmes littéraires. Son influence, Louvain, 1962, p. 297-356 ; " L’influence des Septante sur la tradition chrétienne ", dans Questions liturgiques et paroissiales, 1965, p. 192-211 ; 284-301 ; J. DANIELOU, " Les Psaumes dans la liturgie de l’Ascension, " dans La Maison-Dieu, 21 (1950), p.40-56 ; idem, " Le Psaume 2l dans la catéchèse patristique, " dans La Maison-Dieu, 49 (1957), p. 17-34 ; idem,. " Le Psaume XXII, " dans Bible et Liturgie (coll. Lex orandi no 11), Paris, 1951, p. 240-258 ; idem, " Le Psaume XXII et les étapes de l’initiation, " dans Études d’exégèse judéo-chrétienne, Paris, 1966, p. 141-162 ; idem, " Le cœur brisé, " ibid. p. 163- 169 ; J. CAPELLE, " Actualité des anciens psautiers latins, " dans Revue d’Histoire ecclésiastique, 55 (1960), p. 492-498 ; P. SALMON. " De l’interprétation des psaumes dans la liturgie aux origines de l’office, " dans L’office divin (Coll. Lex orandi no 27), Paris, 1959, p. 99 ss. ; J. LECLERCQ, " Les Psaumes 20-25 chez les commentateurs du Haut Moyen Age, " dans Richesses et déficiences des anciens psautiers latins, Rome, 1959, p. 213-229.
10. P.G. 27, col. 12 ss.
11. Les Psaumes, traduits et présentés par A. CHOURAQUI, Paris, 1956, p. 3-4.
12. Cf. B. FISCHER, " Le Christ dans les Psaumes, " dans La Maison-Dieu, 28 (1951), p. 86-113 ; idem, " Les Psaumes, prière chrétienne. Témoignages du 11° siècle, " dans La prière des Heures (Coll. Lex orandi no 35), Paris, 1963, p. 85-99.
13. Philokalia tôn hiérôn Neptikôn, Tome 11, Athènes, 1958, p. 243-244.
14. À. CHOURAQUI. Op. cit., p. 24-29.
15. S. HILAIRE DE POITIERS, In Psalm. 150, 1 : P.L. 9, 889 A-B, résumé par P. GALTIER, op. cit., p. 161.
16. Cf. M.-J. RONDEAU, " Exégèse du Psautier et anabase spirituelle, " dans Epektasis, p. 517.
17. S. ATHANASE D’ALEXANDRIE, Vie de S. Antoine, 13 ; trad. fr. dans B. LAVAUD. Antoine le Grand, Père des moines, Fribourg-Lyon, 1943, p. 22.
18. Sur la prière " monologique ", voir, entre autres, l’excellent petit volume d’UN MOINE DE L’ÉGLISE D’ORIENT, La prière de Jésus, Chevetogne, 1959, repris en livre de poche dans la collection Livre de vie.
19. S. JEAN CASSIEN, Conférence 10, ch. 10-11.
20. SS. BARSANUPHE et JEAN DE GAZA, Correspondance, trad. L. REGNAULT, PH. LEMAIRE et B. OUTTIER, Solesmes, 1972, p. 146.
21. S. JEAN CLIMAQUE, L’Échelle sainte, XXVIII, 22 ; trad. PI. DESEILLE, Bellefontaine, 1978, p. 293.
22. Ibid., l6-17 ; o.c., p. 292-293.
23. GRÉGOIRE LE SINAÏTE, dans Philokalia tôn Neptikôn, tome 4, Athènes. 1961, p. 82.
THÈMES DES PSAUMES
(Numérotation des Septante)1. L’ÉCONOMIE DU SALUT
La création : 8, 18, 32, 64, 103, 148.
L’histoire d’Israël : 76, 77, 88, 104, 105.LE CHRIST
Incarnation : 2, 44, 71, 84, 88, 131, 138.
Nativité : 2, 18, 84, 97, 109.
Baptême au Jourdain : 28, 113.
Tentation au désert : 90.
Transfiguration : 88.
Passion : 3, 8, 21, 30, 34, 39, 40, 48, 54, 68, 141, 142.
Croix : 4, 73, 98.
Descente aux enfers : 23, 87.
Résurrection (le Seigneur " se lève ") : 8, 15, 29, 64, 75, 109, 114, 117.
Ascension : 18, 23, 46, 56, 67, 107.
Pentecôte : 18, 67.
Seigneurerie universelle : 2, 8, 20, 71, 92. 94, 95, 96, 97, 98, 99.
Parousie : 49, 52, 58, 74, 75, 96. 149.
Rédemption : 39, 48.
Universalité du salut : 46, 59, 66, 67, 99, 107, 116.
Le Saint-Esprit : 32, 50, 103, 138, 142.
L’Église : 44, 45, 47, 86, 121, 124, 126, 132, 136.
La Mère de Dieu : 44, 45, 86.2. PRIÈRE ET VIE CHRÉTIENNES
Supplication
- dans l’épreuve et la tentation : 3, 6, 7, 9, 11, 12, 16, 25, 27, 38, 40, 43, 53, 54, 55, 57, 59, 63, 67, 69, 70, 73, 108, 119, 122, 139, 140, 141, 142, 143 ;
- dans la maladie 6, 37, 40, 87, 101 ;
- dans l’exil : 4l, 42, 60, 119, 136 ;
- de l’Église persécutée : 43, 58, 73, 78, 79, 82, 93, 101, 139.
Pénitence : 6, 24, 31, 37, 50, 101, 129, 142.
Fragilité et grandeur de l’homme : 8, 89, 101, 138, 143.
Confiance : 9, 10, 11, 26, 38, 55, 56, 61, 70, 88, 90, 120, 128, 130.
Abandon à Dieu : 4, 22, 61, 90.
Action de grâces :17, 29, 33, 64, 65, 75, 102, 103, 106, 110, 112, 114, 115, 123, 134, 135, 137.
Louange : 32, 66, 94 à 99, 116, 133, 134, 135, 143 à 150.
Bénédictions : 66, 113B, 133.
Amour de la loi du Christ : 1, 18, 118.
Désir de Dieu : 26, 41, 42, 60, 62, 72, 83, 119, l36.
Proximité de Dieu : 4, 5, 14, 15, 26, 30, 35, 62, 72, 83, 138.
Grandeur de Dieu : 8, 23, 28, 46, 47, 94, 138.
Douceur de Dieu : 22, 26, 33, 35, 62, 76, 80, 85, 144, 145.LES SACREMENTS
Baptême, chrismation, eucharistie : 22.
Baptême : 28, 41.
Eucharistie : 33, 49, 80, 115, 147.
Mariage : 127.LES SAINTS
Apôtres : 18, 67.
Martyrs : 65, 115.
Confesseurs : 15, 36, 91, 111, 138.
Vierges : 44.
Saintes femmes : 127.
Défunts : 50, 118, 129, 142.