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L’Épître de la direction intime


Saint Denys l'Aéropagite (le Pseudo-Denys)

Saint Denys l'Aéropagite (le Pseudo-Denys)


L’Épître de la direction intime est attribuée au même auteur anglais anonyme du XIVe siècle que Le nuage de l’inconnaissance. Ces écrits mystiques, fortement influencés par le mystérieux Denys l’Aréopagite, le « Pseudo-Denys », se situent dans la tradition de la théologie apophatique, qui affirme que de l’essence divine il n’est possible d’avancer que des propos négatifs : « Dieu n’est pas ceci ou cela ». Des traductions latines de La théologie mystique du Pseudo-Denys – très court texte qui exprime dans un langage dense et sublime l’essence de l’apophatisme chrétien –, circulaient largement en Occident au Moyen-Âge. La théologie apophatique doit être complétée par la théologie cataphatique (positive) : par ses énergies divines, qui sont Dieu lui-même, Dieu se révèle dans sa création et il est possible de parler de Dieu en termes positifs : « Dieu est Lumière » ; « Dieu est Amour » (1 Jn 1, 5 ; 4, 8). Le court extrait de l’Épître de la direction intime présenté ici tire les conclusions pour la vie de prière de la théologie apophatique, dont on trouve déjà des échos chez Évagre le Pontique au IVsiècle. Nous sommes à la porte de la prière contemplative pure – mais ce n’est pas la seule porte.


Lorsque tu veux te recueillir en solitude pour la prière, laisse de côté tous ce que tu faisais ou que tu avais l’intention de faire. Ne cherche pas à prier avec des mots, à moins de t’y sentir porté ; ou si tu pries avec des mots, ne leur prête pas d’attention, ni s’ils sont peu nombreux ou beaucoup, ni leur sens. Ne te mets pas en peine de la nature des prières, car il n’importe qu’elles soient des prières liturgiques ou non, des psaumes, des hymnes ou des antiennes ; qu’elles soient des prières d’intention générale ou particulière ; des prières intérieures, exprimées en pensée, ou des prières vocales exprimées par les paroles.

Veille seulement à ce qu’il n’y ait rien qui occupe ton esprit sauf une seule intention, un simple regard fixé sur Dieu, sans que vienne s’y mêler aucune pensée particulière sur lui, ce qu’il est en lui-même, ou ses œuvres. Retiens seulement la conscience nue qu’il est ce qu’il est. Oui, qu’il soit tel qu’il est : ne le conçois pas autrement, je t’en prie. Ne cherche rien de plus à son sujet, mais fixe-toi en cette foi comme sur le roc.

Ce regard fixé vers Dieu, dépourvu d’idées et ancré consciemment dans la foi, laissera ton esprit et tes sentiments dans un vide, sauf une pensée dépouillée et un sentiment obscur de ton propre être. Ce sera comme si tout ton désir criais vers Dieu et tu lui disais :

Ce que je suis, ô Seigneur, je te l’offre, 
sans m’arrêter à aucune des qualités de ton être, 
mais en affirmant seulement 
que tu es ce que tu es, et rien de plus !

Que pour toi cette paisible obscurité soit tout ton esprit et comme un miroir. Car je veux que ton idée de toi-même soit aussi nue et simple que ton idée de Dieu, afin de devenir un avec lui en esprit, sans dispersion ni distraction. Il est ton être et c’est en lui que tu es ce que tu es, non seulement parce qu’il est la cause et l’être de tout ce qui existe, mais parce qu’il est ta cause et ton être. Donc dans cette œuvre contemplative, pense à Dieu comme tu penses à toi-même : qu’il est comme il est, que tu es comme tu es. Ainsi, ta pensée ne sera pas dispersée ni divisée, mais unifiée en celui qui est tout.

En même temps, garde en esprit la distinction entre lui et toi : il est ton être mais tu n’es pas le sien. Tout existe en lui comme source et être et il est en tout comme cause et être. Cependant demeure une distinction fondamentale : lui seul est sa propre cause et son être. […]

Puisque cela est la vérité, que la grâce unit ton esprit et tes sentiments à lui, alors que tu t’efforces de rejeter toutes recherches subtiles sur les qualités de ton être aveugle et du sien. Que ta pensée soit tout-à-fait nue et tes impressions intègres et toi-même tout simplement comme tu es, alors, le toucher de la grâce te nourrira de la connaissance expérientielle de Dieu tel qu’il est. Mais en cette vie ce sera toujours dans l’obscurité et d’une manière partielle, si bien que ton désir languissant ne cessera jamais de s’aviver. Alors lève les yeux dans la joie et dis à ton Seigneur, en mots ou en désir :

Ce que je suis, Seigneur, je te l’offre ;
car tu es éminemment ce que je suis.

Et n’avance plus, mais repose-toi en cette conscience, pure et simple, que tu es tel que tu es.

Épître de la direction intime. Traduit de l’anglais.
Texte complet dans Alain Sainte-Marie, 
La quête de la sagesse, Seuil (Sa 199), 2004.


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Dernière modification: 
Samedi 23 juillet 2022