Pères et mères dans la foi

Saint Youri (Georges) Skobtsov

Saint Youri Skobtsov (1921-1944)

par père Serge Hackel

 


S. Youri (Georges)
Skobtsov

 


Youri Skobtsov, deuxième enfant de celle qui devint sainte Marie de Paris, est né en Géorgie le 27 février 1921. À cette époque la famille Skobtsov fuyait la Russie suite à l’effondrement de la résistance des " Blancs " devant l’avance des bolcheviques pendant la guerre civile. Depuis la Géorgie, la famille se rendit à Constantinople, puis en Serbie, pour arriver enfin à Paris en 1923. Après la séparation des époux Skobtsov en 1927, Youri habita avec son père, Daniel Skobtsov, mais par la suite, il rejoint sa mère, devenue la moniale mère Marie en 1932, dans son œuvre de bienfaisance en la rue de Lourmel à Paris. Youri devient lecteur puis sous-diacre servant à la chapelle de l’hospice de la rue Lourmel, dédiée à Protection-de-la-Mère-de-Dieu, et il participe aux activités de mère Marie en faveur des pauvres et aussi, pendant l’occupation de Paris par les nazis, en faveur des juifs. C’est dans ce contexte qu’il a été arrêté par la Gestapo le 8 février 1943.

Le texte qui suit est extrait de l’article du père Serge Hackel, " Les saints martyrs Marie et Georges ", publié dans la revue Contacts, vol. 56, no. 208, 2004.


La prière, qui était un exercice difficile pour mère Marie, était le refuge préféré de son fils Georges. Au cours de vacances en Angleterre en 1937, l’adolescent de 15 ans manifeste une attirance pour la prière personnelle. « J’apprend ici à prier véritablement », écrit-il à son père (20). Serge Priestly, son ami anglais, qui priait avec lui dans l’église de la rue de Lourmel, puis chez lui en Angleterre, a été marqué pour toujours par ces moments de sa vie. Il racontait :

Se trouver à côté de lui lorsqu’il priait était une expérience que je n’oublierai jamais [...]. Quand nous priions ensemble avec Youri, j’avais un sentiment presque physique de l’éternité [...]. [Il me semblait] que si nous nous rapprochions encore de Dieu, nous mourrions. (21)

Cependant Youri soulignait qu’une telle prière, si profonde soit elle, ne remplace pas les offices liturgiques, qu’il aimait depuis son enfance. Adolescent il faisait office de lecteur, puis, naturellement, est devenu sous-diacre. Il communiait régulièrement, chaque semaine quand il pouvait.

Parvenant à l’adolescence, il se mit à s’impliquer de plus en plus dans cette « liturgie hors du temple », cette oeuvre dans laquelle mère Marie s’oubliait soi-même (22), au service des démunis. Il était aidé en cela par sa bonté naturelle. « Tout le monde l’aimait, écrivait sa grand-mère, tendre, toujours prêt à rendre service, réservé et humble » (23). Mère Eudoxie Mechtcheriakova remarquait en 1936 : « Il a d’excellentes relations avec la création entière. Il est ami de tous, mais aussi, ajoutait-elle, un petit peu condescendant » (24).

La guerre et l’occupation qui a suivi ont considérablement augmenté le nombre des personnes dans le besoin. Quand les persécutions contre les juifs se sont renforcées en 1942, Youri aidait assidûment les persécutés, en particulier ceux qui dépendaient de la cantine de la rue de Lourmel. Quand Lioubov Gavronskaïa, trop âgée, ne put plus venir pour les repas, Youri se mit à lui apporter les aliments indispensables chez elle. Au début de 1943, Youri, risquant sa liberté, et peut-être sa vie, a laissé sa chambre de la rue de Lourmel à une autre juive, Irina Lourié. À ceux qui l’interrogeait, il expliquait que tout était normal : « Ma vie a peu changé » (25).

Quand il fut arrêté le 8 février de la même année, on a trouvé dans sa poche une lettre de Irina Lourié, qui était déjà emprisonnée. Elle écrivait à Youri pour qu’il demande au père Dimitri un faux certificat de baptême, ou au moins d’appartenance à la communauté orthodoxe de la rue de Lourmel. Youri comprenait et partageait l’opinion de sa mère qui disait :

Il n’y a pas de problème juif, il y a un problème chrétien [...]. Si nous étions de véritables chrétiens, nous aurions tous mis les étoiles [jaunes]. Le temps de confesser est venu. La plupart tomberont dans la tentation, mais le Sauveur a dit « n’aie pas peur, petit troupeau ». (26)

Le sous-diacre Georges continue de confesser sa foi en détention. Au début de celle-ci s’est renforcé son lien d’amitié avec le père Dimitri Klépinine, emprisonné avec lui. En avril 1943, il écrit aux siens : « Avec Dima [père Dimitri], nous nous tutoyons, et il me prépare à la prêtrise. Il faut connaître et essayer de comprendre la volonté de Dieu. Cela m’a toujours attiré, et en fin de compte c’est la seule chose qui m’intéressait » (27). C’est ce même désir que manifestent les lettres de père Dimitri : « Je ne voudrais pas être séparé de Youri Skobtsov, écrit-il à sa femme, parce que je crois qu’il a besoin de moi » (28).

Des liturgies eucharistiques étaient souvent célébrées tôt le matin, et pour cette raison à deux. « Grâce aux liturgies quotidiennes, la vie ici a complètement changé, écrivait Youri aux siens. Et à vrai dire, je n’ai à me plaindre de rien. »

Malgré les humiliations subies par les détenus, Youri écrivait à propos des ennemis : « Je n’éprouve aucune haine envers eux, bien qu’ils me soient étrangers et désagréables » (29).

À ce moment, mère Marie avait déjà été envoyée vers l’est. « Je pense constamment à elle », écrivait-il dans sa lettre suivante à la maison (30). « Nous la mentionnons tous les jours à la proscomidie et vous aussi. » (31) Quand le moment de sa déportation en Allemagne est venu, il écrivait encore à son propos : « Je suis absolument calme, même un petit peu fier de partager le destin de maman ». C’est probablement pourquoi son compagnon de détention Feodor Timofeevitch Pianov écrit : « Youri est joyeux, plein de bonté, il se sent un héros » (32).

Dans sa lettre d’adieu, effectivement héroïque, Youri écrit : « Je vous promet de tout supporter dignement. De toute façon, tôt ou tard, nous serons tous réunis. Je peux dire tout à fait sincèrement que je n’ai plus peur de rien. Ma principale inquiétude c’est vous [...], je veux partir en sachant que sur vous repose la paix que nulles forces ne peuvent nous ravir. Je prie chacun, s’il m’est arrivé de lui causer de la peine, de me pardonner. Le Christ soit avec vous ! » (33).

Youri et père Dimitri ont séjourné un mois au camp de Dachau du 16 décembre au 25 janvier. Le 25 janvier à l’aube on les a envoyés au camp souterrain voisin de Dora. Ils ont eu le temps de faire leurs adieux à Feodor Pianov à travers le grillage du camp. Ils se sont bénis les uns les autres (34).

Selon certains témoignages, à Buchenwald Youri a encore pu soutenir ses compagnons de captivité (« il leur remontait le moral par tous les moyens »), et qu’il le faisait en dépit du règlement du camp. Il n’avait pas peur des châtiments. « Ils ne peuvent me faire aucun mal, je meurs de toute façon, disait-il en faisant allusion à son état maladif » (36).

Dix jours après son arrivée dans le deuxième camp aux conditions terribles, il a été atteint d’une forme aiguë de furonculose et a été envoyé à l’infirmerie qui ne fonctionnait pas encore. De là on l’a renvoyé, soi-disant pour le soigner, « vers une destination inconnue », ce qui signifiait en général « à la liquidation ». Un de ses amis parisiens, du foyer de la rue de Lourmel, l’a vu dans le camion. Ils ont eu le temps de s’embrasser en guise d’adieu.

D’après son récit, Youri était calme (36). On ne peut pas douter qu’il possédait la paix « que nulles forces ne peuvent nous ravir ». Ainsi qu’il l’écrivait à sa grand-mère du premier camp : « Dieu est avec nous, et c’est par la souffrance que nous connaîtrons des joies [...] qui ne sont pas de ce monde » (37)

Extrait de l’article du père Serge Hackel,
" Les saints martyrs Marie et Georges ",
Contacts, vol. 56, no. 208, 2004.


NOTES

20 Lettre à D. E. Skobtsov, 8 août 1937, archives de mère Marie (Sussex).
21 Lettre de Serge Priestly au père Serge Hackel, 14/01/1974, archives de mère Marie (Sussex).
22 Mère Marie, « Un bilan après 7 ans », 1939. Tapuscrit, archives de mère Marie (Sussex).
23 S. B. Pilenko, in Mat’Maria, « Stikhi, poemy, misterii, vospominania ob areste i lagere v Ravensbrück », Paris, 1947, p. 151.
24 Lettre de mère Eudoxie Mechtcheriakova au père Claude Elison, 03/06/1936, archives de mère Marie (Sussex).
25 Youri Skobtsov, lettre à Serge Priestly du 2 août 1942, cité dans la lettre de Priestly du 4 janvier 1974 (archives de mère Marie, Sussex).
26 Motchoulski, p 75
27 Lettres aux siens, 21/04/1943, archives de mère Marie (Sussex). 28 Mère Marie (Skobtsov) (1891-1945) : dossier de canonisation, Paris 2000, p. 102, note 1.
29 Lettre aux siens, 19/08/1943, op. cit. p. 103.
30 Lettre aux siens, 24/08/1943, op. cit. p. 104.
31 Lettre aux siens, 27/04/1943, Hackel, Mat’ Maria, p. 233.
32 F. T. Pianov, « Souvenirs inédits » (« Kak my jili v lagere »), archives de mère Marie (Sussex).
33 Lettre aux siens, décembre 1943.
34 Témoignage oral de F. T. Pianov 1964, voir Hackel, Mat’ Maria, p. 235.
35 Cité d’après le père Georges Choumkine (1945) dans la lettre de Serge Priestly au père Serge Hackel, archives de mère Marie (Sussex).
36 Le témoignage de Yu. P. Kazatchkine est cité dans le livre de Hackel, Mat’ Maria, p. 236.
37 Lettre à S. B. Pilenko, 19/05/1943. Archives de mère Marie (Sussex).


Introduction aux Pages Sainte Marie Skobtsov

 



Dernière modification: 
Jeudi 8 septembre 2022