Exaltation de la Sainte Croix - Icône de la Fête
L'Exaltation de la Sainte Croix
Icône de Novgorod (XVe s.)
Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky
Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky
En dehors du Grand Vendredi (voir l'icône de la Crucifixion), le thème de la Croix revient constamment dans les offices de semaine, chaque mercredi et vendredi de l'année liturgique. L'Orient orthodoxe consacre trois fêtes spéciales à la Croix du Seigneur : son Adoration (προσκύνησις, troisième dimanche de Carême), sa Procession (πρόοδος, 1er août) et son Élévation (υψωσις) fêtée le 14 septembre aussi bien en Occident qu'en Orient. La fête de l'Exaltation de la Croix a pris naissance en Palestine. Instituée pour commémorer la dédicace de la basilique de la Résurrection édifiée par l'empereur Constantin à Jérusalem, la fête de la Dédicace (τα εγκαίνια) fut bientôt associée à la commémoration de la découverte de la vraie Croix. Eusèbe ne fait pas mention de cette découverte dans sa description de la célébration de la Dédicace en 335. Mais saint Cyrille de Jérusalem, en 347 écrit : " Toute la terre est déjà remplie du bois de la Croix divisée en fragments (1). » L'invention de la Croix a donc eu lieu peu de temps après la Dédicace, vers l'an 340. La légende d'Édesse a cherché à attribuer la découverte de la Croix à Protinia épouse du « César » Claude, durant le règne de Tibère. Mais le récit, plus vraisemblable de cette découverte par la mère de Constantin, sainte Hélène, fut accepté de tous vers la fin du IVe siècle. Ainsi saint Jean Chrysostome (2) parle, en 395, des trois Croix découvertes par Hélène sous le tertre du Golgotha : celle du Christ fut identifiée grâce à sa position au centre et à l'inscription qu'elle portait. Vers le début du Ve siècle, d'autres auteurs (3) parlent de miracles qui ont permis à sainte Hélène et à saint Macaire, évêque de Jérusalem, de reconnaître la vraie Croix. Égérie, dans le récit de son pèlerinage à Jérusalem (vers l'an 400) écrit que la fête de la Dédicace était célébrée avec une grande solennité, « car c'est en ce jour que fut découverte la Croix du Seigneur (4) ».
La fête de la Croix éclipsa bientôt presque totalement celle de la Dédicace. Au VIe siècle, Alexandre le Moine parle de la célébration annuelle, le 14 septembre de la Dédicace et de l'Élévation de la Croix vénérable - υψωση του τιμίου σταυρού - Le ménologe basilien (manuscrit de la fin du Xe siècle) rapporte que, le lendemain de la Dédicace, en 335, le peuple put contempler pour la première fois le bois sacré; l'évêque, debout sur une hauteur, éleva la Croix au cri Kyrie eleison des fidèles. C'est ainsi que la cérémonie de l’υψωσις se déroulait sans cloute à Jérusalem depuis la découverte de la Croix. Ce rite fut célébré pour la première fois à Constantinople le 14 septembre 614 (6). Le retour triomphal, clans la capitale de l'empire, de la Croix reprise aux Perses par l’empereur Héraclius III était prévu pour 628. Il s'accomplit en fait en 633 : le patriarche Serge la porta en procession de l'église des Blachernes à Sainte-Sophie où l'Élévation fut célébrée en grande pompe (7). Cette fête s'étendit ensuite à d'autres centres de la οἰκουμένη chrétienne. Elle fut célébrée à Rome sous le pontificat de Serge (687-701). La fête de l'Élévation est une glorification de la Croix du Christ par tout l'univers qui reconnaît que « ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes » (1 Co 1, 25). « Voyant la Croix élevée par les mains de l'évêque », l'Église glorifie l'arme du Christ par laquelle " la malédiction a pris fin, la vie incorruptible a fleuri, nous avons été divinisés et le diable complètement terrassé ». Mais en même temps que l'œuvre de la Rédemption, l'Église célèbre aussi « la victoire invincible (8) » de la Croix sur les puissances de ce monde hostile au christianisme. En fait, il n'y a pas, pour les chrétiens, d'autre moyen de vaincre que la Croix du Christ qui est le seul soutien sûr dans l'histoire du monde « celle qui soutient l'univers ». L'empire qui se veut chrétien doit clone s'incliner devant la Croix. C'est elle qui a donné la victoire à Constantin; c'est la Croix aussi qui a brisé la puissance des « peuples barbares (9) » et soutenu le sceptre des rois chrétiens. La présence de ces éléments « constantiniens (10) » donne à la fête une note politique : le peuple orthodoxe et son basileus, la tête de la civilisation chrétienne, triomphent de leurs ennemis par la puissance invincible de la Croix. Mais, au-delà de cet aspect contingent byzantin, l'Élévation universelle (11) (παγκόσμιος) de la Croix vénérable et vivifiante a un aspect essentiel et permanent : celui de la sanctification du cosmos par la force divine que la Croix manifeste. Si le Christ est le nouvel Adam, sa Croix est le nouvel Arbre de Vie qui rend au monde déchu l'incorruptibilité du Paradis. Élevée au-dessus de la terre, la Croix qui, par ses cieux extrémités (12) embrasse le ciel tout entier, met en fuite les démons et déverse la grâce aux quatre coins de l'univers.
Dans l'iconographie, la représentation de l'Élévation de la Croix est parfois associée à celle de sa Découverte. Dans ce cas, on montre l'évêque élevant la Croix dans la partie supérieure de l'icône, tandis qu'en dessous on voit sainte Hélène près d'une grotte au pied du Golgotha devant les trois croix qu'elle vient de découvrir. Mais le plus souvent l'icône se limite à l'Élévation. La composition la plus simple montre l'évêque (saint Macaire de Jérusalem) debout sur un ambon et tenant une grande croix dans ses deux mains : c'est la vraie Croix du Seigneur qu'il montre au peuple. Deux sous-diacres soutiennent l'évêque de chaque côté. Saint Constantin et sainte Hélène se tiennent généralement près de lui. Parfois l'empereur et sa mère sont placés tous deux à la droite de l'évêque tandis qu'à sa gauche est représenté un miracle (la guérison d'un malade ou la résurrection d'un mort) opéré par la vertu de la Croix. L'arrière-plan architectural derrière l'évêque qui élève la Croix représente sans cloute la basilique de la Résurrection bâtie par Constantin : ainsi est conservé dans l'iconographie le souvenir de l'ancienne « fête de la Dédicace "·
1. Catéchisme, IV, 10; P. G. 33, col. 469.
2. Sur saint Jean, homélie 85, 1; P. G. 59, col. 161.
3. Ruffin, Hist. eccl., I, 8; P. 1. 21, coll. 476-477: Paulin de Nole. Épître XXXII, 5; P. L. 61, coll. 328-329.
4. ltinerarium Aetheriae, 18-49, " Sources chrétiennes " (Paris, 1948). p. 262-266. réecl. 1997. p. 317 s.
5. Sur la découverte de la Sainte Croix, P. G. 87. col. 4072 A.
6. Chronicon pascale. P. G. 96, col. 988.
7. Nicéphore de Constantinople, Historia syntomos, P. P. 100, col. 913 A.
8. Vêpres, stichère, ton 5.
9. Vêpres, stichères, tons 2 et 4.
10. Matines. ton 8.
11. Kondakion, ton 4. Universelle.
12. Matines, stichère du ton 8; canon, ton 6.
Source : Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky,
Le Sens des icônes, Paris, Le Cerf, 2004, pp. 135-139.