Méditations bibliques
Le Visage de Lumière
CROIS-TU À LA BONNE NOUVELLE ?
LA PRIÈRE DU PUBLICAIN
PRINTEMPS
LA LUMIÈRE LUIT DANS LES TÉNÈBRESJésus, simples regards sur le Sauveur
VOIR JÉSUS
TOUCHER JÉSUS
APPRENDRE JÉSUS
MANGER LA PÂQUE AVEC JÉSUS
LA FRACTION DU PAIN
JE VOUS DONNE MA PAIX
LE RETOUR EN GALILÉELe Messager orthodoxe
Le Visage de Lumière
Extraits du livre
Le visage de Lumière : Reflets d’Évangile,
Éditions de Chevetogne, 1966.
CROIS-TU À LA BONNE NOUVELLE ?
Croyez en l’Évangile (Mc 1, 15), ou Croyez à la Bonne Nouvelle, – les deux expressions sont synonymes. La seconde dit seulement en français ce que la première dit en grec. Mais nous sommes devenus si familiers avec le mot « évangile » que celui-ci, pour beaucoup d’entre nous, a perdu quelque chose de sa signification profonde et de sa puissance.
Cette exhortation impérative : Croyez à la Bonne Nouvelle, inaugure le prédication publique de Jésus. Au début de son ministère, le Maître veut se situer lui-même et nous situer dans un climat, une atmosphère, d’espérance et de joie.
La Bonne Nouvelle… L’Évangile de Jésus est-il pour moi une « nouvelle » ? S’il l’a été jadis, l’est-il encore ? L’a-t-il jamais été ?
Ce qui est « nouveau » se présente toujours à nous sous deux aspects. D’une part, le « nouveau » met fin à l’« ancien ». Toute nouveauté abolit un certain état de chose. Elle se substitue à une situation qui a cessé d’être. L’« ancien » se trouve relégué dans le passé, dans l’inactuel. D’autre part, la nouveauté, par définition, commence quelque chose. Elle nous introduit dans ce qui est « autre » que ce qui était auparavant.
Chaque parole de l’Évangile est une nouvelle. Elle devrait être neuve pour nous chaque fois que nous la lisons. Elle est chaque fois une irruption de l’entièrement autre, de l’entièrement nouveau, dans l’étroit domaine du déjà vu, du déjà lu, du déjà connu, du déjà vécu. Elle est une perte ouverte sur une infinité inouïe et merveilleuse.
Les mots de l’Évangile, pour avoir été entendue maintes fois, cessent de produire en nous l’ébranlement de l’âme, la secousse salutaire. Nous les entendons – une fois de plus ! – avec un esprit fatigué, blasé, non pas incrédule, mais devenu plus eu moins insensible. Nous sommes là, nous sommes devant ta Parole, Seigneur, avec nos fardeaux, nos péchés, nos sollicitudes de ce monde.
Attendons-nous vraiment que tout, en nous, pour nous, soit changé ? Le poids que je porte depuis des années va-t-il être ôté de mes épaules ? Chaque mot – je dirais presque : pris au hasard – de l’Évangile peut-il transformer et emplir ma journée ? Peut-il, de chaque jour, faire une journée nouvelle ?
Oui, si cette parole est écoutée et reçue de tout mon cœur. Car c’est à nous, c’est à vous, c’est à moi, que la nouvelle de Jésus est adressée en tant que nouvelle. Si j’accepte la Bonne Nouvelle de Jésus, ce n’est pas seulement la journée présente qui devient la nouvelle journée. Si j’apprends aujourd’hui du Sauveur, avec un cœur donné, quelque chose que je ne savais pas (et tout ce qui le concerne, et me concerne, est à ré-apprendre de lui, entièrement, chaque jour), c’est moi-même qui, aussitôt, suis changé. La Bonne Nouvelle apporte le guérison, le pardon, la certitude, le lumière. Car les premières choses sont passées… Voici, je rends toutes choses nouvelles(Ap 21, 4-5).
La Bonne Nouvelle de Jésus est « bonne », parce qu’elle est prononcée pour nous par celui qui est l’image humaine de le Bonté incréée, par celui en qui toute Bouté s’est faite chair. Elle est bonne, parce que son contenu, sa substance, est annonce et promesse de grâce. Elle est bonne, parce qu’elle fait jaillir eu nous les sources de la joie, de le vraie joie qui surpasse toutes les joies. La Bonne Nouvelle de Jésus est un joyeux message, une Annonciation radieuse.
Seigneur Jésus, éveille mon âme à la nouveauté de ton printemps. En toi sont tous mes printemps. Tu es mon printemps, qui ne passe pas. Tu est le jour sans crépuscule, sans couchant.
Deux hommes montèrent au temple pour prier (Lc 18, 10). Pourquoi Jésus proclame-t-il la supériorité de la prière du publicain sur celle du pharisien ? Les raisons de cette préférence semblent évidentes. Et cependant il est assez rare que ceux qui les exposent aillent jusqu'au fond de la parabole.
Tout d'abord, remarquons que Jésus ne prononce pas une condamnation explicite du pharisien. Nous sommes enclins à jeter sur les pharisiens tous les blâmes et à les traiter d'hypocrites (ce qui est un alibi commode pour ignorer nos hypocrisies conscientes ou inconscientes). Jésus s'exprime d'une manière remarquablement nuancée : Je vous le dis, celui-ci (le publicain) descendit dans sa maison justifié plutôt que l'autre (le pharisien) (Lc 18, 14).
Le pharisien prie debout. Le publicain se frappe la poitrine et n'ose pas lever les yeux vers le ciel. Mais on ne peut pas dire que l'attitude du pharisien exprime de l'orgueil ou de l'arrogance. Prier debout était la posture normale dans la prière juive. Le pharisien dit à Dieu qu'il n'est pas comme le reste des hommes, injustes, ravisseurs, adultères ou comme ce publicain. Cela est exact. Les pharisiens n'étaient pas des pécheurs publics. Ils avaient le droit de le dire. Le pharisien dit à Dieu qu'il jeûne deux fois par semaine et donne la dîme de tous ses revenus. Là encore il s'agit d'une constatation de fait. Et elle est exacte. Le pharisien ne s'attribue pas à lui-même le mérite de toutes ces choses. Au contraire, il en remercie Dieu. Ô Dieu, je te rends grâce de ce que... (Lc 18, 11).
Que manque-t-il donc à la prière du pharisien ? Elle n'est pas déficiente en ses affirmations, mais bien dans ce qu'elle ne dit pas. Il y manque un besoin et un sens de l'humilité. Il y manque un certain abaissement. C'est pourquoi le Seigneur dit : Quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé (Lc 18,14).
Celui qui s'abaisse... C'est le publicain que le Seigneur désigne ici clairement, le publicain qui se tient à distance, qui n'ose pas lever les yeux vers le ciel et qui se frappe la poitrine en disant : Ô Dieu, aie pitié de moi, pécheur (Lc 18,13).
En quoi consiste l'unique valeur de cette prière ? D'abord, il y a l'humble attitude physique du publicain. Il y a le fait qu'il se frappe la poitrine, attestant ainsi que nos transgressions ont leurs racines dans notre cœur, au-dedans de nous-mêmes. Il y a enfin le fait qu'il se déclare pécheur. Tout cela justifie amplement l'approbation que le Seigneur Jésus donne à la prière du publicain. Cependant, il y a dans cette prière quelque chose d'encore plus profond et qui, plus que tout le reste, touche le coeur du Sauveur. Ce sont ces simples mots : Aie pitié.
La prière du publicain est généralement considérée par les exégètes comme une forme un peu abrégée du troisième verset du psaume cinquante : Ô Dieu, dans ta bonté aie pitié de moi, et efface mes transgressions selon l'abondance de ta miséricorde. C'est le grand acte de contrition de David lorsque, après que le roi eût péché, le prophète Nathan vint à lui.
Quoiqu'il en soit des termes employés, le publicain fait un appel à la pitié, à la bonté, à la miséricorde, à la propitiation, à l'apaisement de Dieu envers lui. Voilà ce qui manquait surtout à la prière du pharisien. Et voilà ce qui donne sa valeur suprême à la prière du publicain. Ce n'était pas assez de dire: « Je suis un pécheur ». La prière acceptable à Dieu est celle qui ajoute : « Je crois à ton pardon, à ta grâce. J'espère en ta bonté ». Le publicain avait connu le Père.
Levez les yeux et regardez les champs qui déjà blanchissent pour la moisson (Jn 4, 35). Ainsi parle le Sauveur à ses disciples, auprès du puits de Jacob.
Jésus, semble-t-il, a commencé son ministère public vers la fin de février ou le début de mars. Les premiers souffles du précoce printemps de la Galilée coïncidaient avec ce printemps des âmes, annoncé, apporté par le Sauveur.
Il y a comme un printemps au seuil de l’Évangile. Les premières paroles de Jésus, ses premières rencontres, ses premiers appels, exhalent une expérience printanière et une verte nouveauté. Les paraboles galiléennes nous parlent des semailles, du blé qui lève, des moissons qui blanchissent, des arbres qui croissent.
Sentons-nous cette atmosphère ? Ouvrons-nous notre âme à ces souffles ?
Printemps et jeunesse. Éternelle jeunesse de l’Évangile. Le moyeu de toujours demeurer jeune, malgré les années, est de rester uni à Jésus.
S’attacher à lui, c’est ne jamais perdre la grâce de la jeunesse, le parfum du printemps.
La jeunesse, c’est l’état d’âme des premiers disciples. Enthousiasme des jeunes cœurs qui se donnent. Cela ne signifie pas qu’on ne doive point mûrir et atteindre la croissance normale.
Mais cela signifie : vigueur, fraîcheur, se tenir près des sources, demeurer contemporain du premier temps des choses, capacité d’assimilation et d’adaptation, activité plus aisée et plus intense.
L’Évangile est, pour ainsi dire, gonflé de jeunesse. Car celui que Dieu pardonne et guérit redevient jeune. C’est lui – le Seigneur – qui renouvelle ta jeunesse comme celle de l’aigle (Ps 102, 5).
LA LUMIÈRE LUIT DANS LES TÉNÈBRES
Seigneur, tu as dit : Je suis la Lumière du Monde (Jn 8, 12), et voici que tu viens à nous, au milieu de notre nuit, dans les ténèbres qui pèsent sur les hommes et sur les choses. La Lumière luit dans les ténèbres (Jn 1, 5).
Tu viens à nous comme dans une nuit d’hiver. Tu viens vers les âmes où il fait noir. Ta lumière n’est perçue que par quelques-uns. Mais ceux-là savent que cette lumière, si restreinte qu’en soit maintenant le rayonnement, ne sera jamais étouffée et qu’elle finira par dissiper les ténèbres épaisses.
Tu avances dans l’obscurité. Tu es la seule lampe ardente dans la nuit. Tu éclaires l’étroit cercle d’espace qui t’entoure. Cette lumière permet de discerner, quoique confusément, ton visage. Elle éclaire aussi ta route et guide ceux qui veulent suivre tes pas. Et un reflet de la lumière de ta face tombe aussi sur tes compagnons.
Tu avances dans la nuit profonde, dans une nature d’hiver désolée. Les arbres ont perdu leurs feuilles. Ils ses dressent, secs et noirs. Voici cependant que, lorsque tu frôles leurs branches, des feuilles semblent soudain pousser et s’ouvrir. Elles ont étrangement la forme de ce grêle feuillage des oliviers, dans le jardin du pressoir et de ton agonie. Sous tes pieds, parmi l’herbe pauvre et la mousse desséchée, des fruits rouges paraissent encore.
Ton approche rend une verdeur et une vie à ce que l’on croyait mort. Qui donc pense à toi au milieu de la nuit ? Quelques âmes privilégiées, certes. Elles sont dans l’enclos du Berger et savent qu’elles peuvent en paix reposer sous ta garde. Mais toi, tu ne penses pas seulement à elles. Tu penses à toutes les âmes qui, à cette heure, paraissent être sans toi ou contre toi. Tu penses même à ma pauvre âme, et déjà tu prépares pour elle ce que tu veux que demain lui apporte.
Lumière du matin, Lumière de midi
Jésus, Lumière du Monde, tu n’es pas seulement la lumière qui brille dans les ténèbres de la nuit. Tu es aussi la lumière du matin, la lumière de toute journée nouvelle, de ses espoirs et de ses entreprises.
Le soleil s’élève peu à peu. De même, à l’aube de toute journée, tu veux, ô Lumière du Monde, percer à travers les ignorances et les faiblesses des hommes, au travers des bonnes volontés comme au travers des passions pécheresses. Tu veux créer chaque matin un monde neuf.
Rends-moi pieux envers toi, Lumière du jour qui se lève, afin que je ne flétrisse pas ce jour naissant et que j’accueille avec adoration tout ce que tu m’offres par lui.
Lumière du Monde, tu es surtout le soleil qui resplendit en plein midi.
Un jour de cet été, à Jérusalem, j’ai essayé de fixer, à midi, le soleil d’orient. J’ai levé mes yeux vers lui et j’ai entrevu, pendant une ou deux secondes une blancheur incandescente et insoutenable, – la blancheur plus blanche que la neige. Pour continuer à apercevoir ce soleil de midi, j’interposai entre lui et mes yeux les feuilles d’un petit rameau. Je compris alors autre chose. Je compris comment ta clarté aveuglante, ô Christ-Lumière, nous paraît tamisée, filtrée, à travers tes créatures qu’elle éclaire et réchauffe.
Lumière du Monde, montre-toi à moi dans la splendeur du milieu du jour.
Lumière du soir
Et voici venir l’heure du crépuscule. À cette heure, Lumière du monde, sois encore avec moi. Reste avec nous, Seigneur, parce que le jour décline (Lc 24, 29).
La clarté du jour se fait plus douce et plus tendre. Elle devient dorée, puis rouge, puis violette. Elle enveloppe toutes choses dans une grande paix.
Étends la même paix, Seigneur, sur nos vies finissantes. Quand l’ombre des grands monts, – l’ombre des collines éternelles – s’approchera de mon âme, fais que cette ombre demeure traversée par ta lumière.
Donne-moi alors, Seigneur, d’entendre sans crainte, avec joie, cette invitation qu’un jour, sur le lac, tu adressais à tes disciples : Passons à l’autre rive (Lc 8, 22).
Jésus, simples regards sur le Sauveur
Extraits du livre
Jésus, simples regards sur le Sauveur
Chevetogne, 1962 ; Cerf (Livre de Vie), 1996.
« Nous voudrions voir Jésus «, disaient quelques Grecs à l’apôtre Philippe. Et c’est là encore la prière que j’adresse au Saint-Esprit. Seigneur Esprit Saint, fais-moi voir Jésus!
Ce sont les purs de cœur qui verront Dieu. Le sermon sur la montagne le déclare. Et Jésus ne peut être vu que par les purs de cœur. Ceux-ci se transportent d’emblée au centre de l’Évangile. Pour eux, c’est très simple. Mais c’est difficile pour ceux dont le regard est troublé par les passions ou par les connaissances humaines mal ordonnées. Ils doivent réapprendre, recouvrer le regard direct, immédiat sur Jésus.
J’apprends à regarder Jésus dans la mesure où j’apprends à être regardé par lui. Se soumettre au regard de Jésus. Avant d’adresser la parole à Simon, lors du premier appel, Jésus le regarde (et le verbe grec implique qu’il le regarde avec insistance). Même regard pénétrant jeté sur Simon-Pierre, lorsque Jésus sort de chez Caïphe et que Pierre l’a renié. Tel regard de Jésus comble le disciple de joie et de lumière. Tel autre fait pleurer amèrement le disciple qui a failli. Regards de Jésus qui font pleurer : sans eux, je n’obtiendrai pas que se pose sur moi le regard de lumière.
Conditions de la vision. Elles sont les mêmes que celles imposées par Jésus aux trois disciples dont il fit les témoins de sa transfiguration. Jésus les « prit avec lui » ; il les « conduisit » ; il les mena « sur une haute montagne », où ils étaient « seuls, à l’écart »«. Solitude avec Jésus. Se laisser conduire. Ascension pénible, très au-dessus de ce que notre vie a de mauvais et de médiocre. Toutes ces conditions demeurent ordinairement nécessaires. (Je dis « ordinairement », parce qu’il y a des cas exceptionnels : Saul sur le chemin de Damas).
Encore la pureté de cœur. Cœur pur : cœur sans mélange, comme on dit d’un vin qu’il est pur. Cœur non-partagé, non-divisé. Intégrité préservée – ou recouvrée. L’impureté, au sens sexuel, n’est qu’une des formes de la désintégration. « Mon enfant, donne-moi ton cœur », disait la Sagesse dans l’Ancien Testament. Seul un cœur «donné« peut saisir Jésus. Mais donné sans retour. Entier, sans faille. L’un opposé au multiple. « Je m’appelle légion », répondait le possédé auquel Jésus demandait son nom.
Mon enfant, tu as cherché ton bonheur. Au lieu du bonheur que tu cherchais, je t’offre mes « béatitudes «. Ta vie entière t’a rendu évident que ton chemin t’est fermé, hors l’absolu don de toi. Heureux es-tu, à qui j’ai barré les routes qui ne sont pas la mienne!
Quand je regarde à toi, Seigneur Jésus, je ne sens plus le besoin de t’interroger, de recevoir des réponses sur des questions particulières. Ta personne, ton image sont la réponse suffisante et totale. Si je fixe les yeux sur toi, en toi tout m’est révélé. Obscurément certes, mais avec puissance. Et même cette obscurité (qui, de toi à moi, ne peut point ne pas être) m’est souvent une clarté éblouissante. Lorsqu’il me semble obtenir de toi une claire vision, tout me devient clair.
Ta parole, Seigneur Jésus, n’est pas un commentaire sur une relation qui existerait entre toi et moi. Ta parole donne naissance à cette relation. Elle ne m’informe pas du fait du Christ. Elle crée mon contact vivant avec ce fait. Elle est l’irruption même du fait divin dans ma vie.
Chaque parole de Jésus est une déclaration de sa grâce. En Jésus, même dans les propos les plus quotidiens, c’est le Rédempteur qui parle. L’ombre de la croix sur toutes choses. Non : le soleil de la croix.
Voir Jésus? Plus que cela : toucher Jésus. « Ce que nos yeux ont vu, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie... », écrit l’apôtre Jean. La femme atteinte d’une perte de sang se disait que, si seulement elle pouvait toucher les vêtements de Jésus, elle serait guérie. Elle toucha avec timidité, par derrière, la tunique de Jésus ; et elle fut guérie de son mal. Je demande qu’aucun jour ne s’écoule sans que je puisse toucher au moins la frange du vêtement de Jésus et sans qu’une force sortie du Sauveur ne me soit un gage de salut. Toucher Jésus dans le tête-à-tête secret avec lui ; dans le contact avec les membres humains du corps du Christ qui est l’Église ; dans le mystère de la cène du Seigneur. Ne pas s’imaginer qu’on a touché Jésus parce qu’on s’est approché de lui. Mais il y a des moments privilégiés où une sorte de tressaillement ineffable, une sorte d’évidence irrésistible (lesquels, s’ils sont authentiques, nous jettent dans un abîme d’humilité) nous font nous écrier : « Je viens de toucher Jésus ». Ou mieux : « Jésus vient de me toucher ». (Seigneur, je ne suis pas digne de lever les yeux vers toi. Aie pitié de moi pécheur).
A quel point les faits de la vie du Christ nous déconcertent! Jamais ils ne correspondent exactement à ce que nous attendions. Et cependant ils vont plus loin, et dans un sens positif, que notre attente. Joseph d’Arimathée ensevelit Jésus ; or Jésus est celui qu’aucun sépulcre ne peut contenir ou retenir. Les femmes apportent des aromates au tombeau ; or c’est un Dieu déjà ressuscité qu’elles se préparent à oindre. Une femme brise un vase de parfum sur le corps vivant du Seigneur, afin de rendre gloire à celui-ci ; or Jésus dit que c’est en vue de sa sépulture qu’elle a fait ce geste. La croix semble anéantir l’espérance. Mais la résurrection anéantit le désespoir.
Les actes divins, qui ruinent nos constructions, les dépassent. Ainsi en est-il de chaque intervention de Jésus dans notre vie personnelle.
Chacune fait éclater quelque chose, mais rend possible un essor. Jésus ne rentre dans aucun de nos cadres. Sa présence, sa parole les brisent tous.
« Apprenez de moi... » On ne peut connaître Jésus sans apprendre Jésus. Apprendre : jour par jour, heure par heure, peu à peu. Tâche de docilité et de persévérance. Elle suppose la familiarité quotidienne avec Jésus : être auprès de lui, l’écouter. « De moi... » Le Sauveur désire ce rapport direct, intime, avec chaque âme. D’autres pourront nous préparer à son message et nous le redire avec fruit. Mais ils ne seront jamais que des répétiteurs. Lui Seul est le Maître, celui dont l’enseignement coule de source. Et ici l’enseignement se confond avec l’enseignant. Recevoir le message de Jésus, c’est découvrir la personne du Maître. Jésus veut nous révéler ce qu’il est. Et que veut-il que nous apprenions au sujet de lui-même? Ceci, qui est bien simple, et bien court, et accessible aux plus frustes : « . . .que je suis doux et humble de coeur ». Voilà ce qu’il veut que nous sachions en premier lieu. Est-ce peu de chose? Sous le voile de ces mots, nous pourrions découvrir Bethléem et le Golgotha.
Pour s’attacher à la connaissance de Jésus, il faut être capable d’un certain désintéressement et d’une sorte d’objectivité sacrée. Il faut que cette connaissance soit l’intérêt suprême de notre vie. Empêcher donc la préoccupation de nous-mêmes, fût-ce sur le plan spirituel, de devenir suprême. Ce que nous apprendrons de Jésus sur Jésus nous doit être plus précieux, plus désirable que ce que nous apprendron8 sur nous-mêmes. Car la figure du Sauveur nous fait immédiatement prendre conscience de nos propres proportions, de notre situation. Et c’est d’elle qu’émane immédiatement la possibilité – plus : la puissance active – de notre métamorphose. Mais la figure de Jésus ne doit pas nous intéresser premièrement à cause de ses effets sur nous. C’est sa beauté intrinsèque qui doit d’abord nous saisir.
« Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m’as pas connu, Philippe ! » Mon enfant, avec toi aussi je suis depuis tant d’années! Cependant, à bien des égards, je demeure pour toi un inconnu. Ce que tu sais de moi n’est rien, en comparaison de ce qu’il te reste à apprendre. Le temps qui t’est laissé, veux-tu le consacrer à me connaître ?
Connaissance du Christ : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que tu as envoyé ». Ce n’est pas assez de dire que cette connaissance a lieu dans la vie éternelle. Elle est la vie éternelle. En cela la vie éternelle consiste. Par suite, la vie éternelle commence ici-bas. Cette connaissance est la soudure entre le temps et l’éternité. Le seul vrai Dieu et Jésus-Christ qu’il a envoyé : ce ne sont pas deux objets de connaissance. Car c’est en Jésus seulement que nous connaissons le Père de Jésus et l’Esprit de Jésus. « Celui qui m’a vu a vu le Père ».
J’ai vivement désiré manger cette pâque avec vous (Lc 22,15). Il ne s’agit pas seulement de la pâque qui précéda le premier vendredi saint, ni de la pâque que nous célébrons annuellement. Tout instant peut devenir une pâque. Une pâque : le repas intime avec Jésus, où nous nous unissons à la vie divine donnée pour le salut du monde. Union avec le corps brisé et le sang répandu. C’est cette union spéciale qui distingue la pâque de l’union au Christ dans un sens général. Tout le mystère pascal, - la croix et la résurrection - est dans le souper du Seigneur. Le mystère de la Cène n’est pas limité à la participation visible aux dons eucharistiques, dans l’assemblée des fidèles. Une cène intérieure, invisible, purement spirituelle, peut s’accomplir dans mon âme à toute heure et en tout lieu. Si quelqu’un m’ouvre, j’entrerai, et je souperai avec lui(Ap 3,20). La cène invisible, n’est pas moins réelle que la cène visible, mais elle est d’un autre ordre, et il faut apporter à la distinction de ces ordres un souverain respect.
J’ai désiré, d’un grand désir, manger cette pâque avec vous. Cette pâque : laquelle ? La dernière que Jésus célébrera avant sa mort. Celle où il révélera à ses disciples le mystère du véritable agneau pascal. La pâque qu’il désire manger avec moi est une pâque telle que j’y puisse enfin découvrir l’agneau.
La question de Jésus au maître de la maison : Où est le lieu où je mangerai la pâque ?...(Mc 14,14). Cette question revêt un sens beaucoup plus riche si l’on se réfère au texte grec de saint Marc : Katalyma mou, mon logis, ma salle d’hospitalité. Il y a dans cette question un mélange d’humilité et de commandement. Jésus demande où est « sa « chambre : il la demande avec assurance, avec l’autorité de la possession. Cette chambre est à lui. Il l’a retenue. Mais il a dû l’emprunter à un homme. Jésus réclame mon âme pour y célébrer sa pâque. Car mon âme lui appartient. Mais il accepte de venir comme un hôte, il demande mon hospitalité.
Le Maître dit : mon temps est proche ; je célébrerai chez toi la Pâque avec mes disciples. Avec mes disciples...(Mt 26,18) La Pâque du Seigneur est toujours personnelle ; jamais elle n’est seulement individuelle. Même s’il s’agit de cette Cène invisible que Jésus peut à tout moment célébrer dans la chambre haute de mon âme, il faut que cette chambre demeure ouverte à tous les disciples de Jésus. Si je suis avec Jésus, je dois être avec Pierre, André, Jacques, Jean, Paul et tous les apôtres, et tous ceux qui, dans les siècles passés ou aujourd’hui, ont été ou sont les disciples du Sauveur. Jésus parle des disciples en ces termes : Allez dire à mes frères... Je ne puis m’isoler des frères de Jésus sans me séparer de Jésus. Je dois communier avec eux dans une même foi, dans une même affection.
La phrase qui nous montre Jésus se levant pour laver les pieds de ses disciples commence ainsi : Jésus, sachant que le Père avait remis toutes choses entre ses mains...(Jn 13,1). La pleine conscience de l’autorité divine qui lui est départie devient pour Jésus le fondement même d’un acte d’humilité.
Attitude de Simon-Pierre lors du lavement des pieds. Elle indique bien les tentations qui peu. vent assaillir un disciple sincère. Pierre, impulsif, exagère dans deux sens opposés. D’abord il ne veut pas que Jésus le lave. Puis il veut que Jésus lui lave non seulement les pieds, mais la tête. Nous voudrions souvent décider de ce que le Seigneur devrait faire et aussi de la manière dont il devrait le faire. Ce que Jésus désire, c’est que nous nous « laissions faire «. Soumission adorante à ses initiatives, lors même que nous ne les comprenons pas.
Si, imitant Jésus, tu t’agenouilles pour laver es pieds d’un autre, voici que le linge avec lequel tu les a essuyés va devenir pour toi le linge de Véronique : sur lui sera empreinte la face du Sauveur.
Jésus sait que Judas le trahit. Il lui donne, pendant la Cène, à lui de préférence, un « morceau trempé «. L’épisode est troublant. Y a-t-il là un signe de condamnation, ou un dernier appel de a grâce ? « Après que le morceau fut donné, Satan entra dans Judas... « Peut-être est-il permis de penser que la marque extérieure de ) prédilection que reçoit Judas est encore une miséricorde du Sauveur, une dernière chance ,offerte. Si nous considérons attentivement les ;circonstances dans lesquelles nous péchons, et surtout les préludes immédiats de nos chutes, cous voyons que, jusqu’à la dernière minute, le Seigneur multiplie les interventions voilées, les appels discrets, les mouvements descendants de a grâce, les touches de secrète tendresse, afin le retenir notre volonté défaillante. L’histoire de chacun de nos péchés est aussi l’histoire d’une manifestation in extremis, pour ainsi dire, de la piété divine. Si seulement nous savions, nous voulions lire les signes !
La fraction du pain : geste central du christianisme. À la Cène, Jésus rompt le pain et le donne. Il verse le vin et le donne. Ce n’est pas assez de dire que Jésus se donne. Il se donne comme un pain rompu et comme un vin versé ; il donne son Corps brisé et son Sang répandu. L’Agneau de Dieu est immolé pour la vie et le salut du monde.
Seigneur Jésus, unis-moi à toi dans ton immolation. Fais de ma vie, entre tes mains, une libation offerte à Dieu et aux hommes. Verse-moi dans ta coupe comme un vin répandu. Fais de moi un pain rompu par tes mains elles-mêmes, tenu entre tes mains, donné par tes mains. J’accepte d’être rompu par toi. Noie dans ton sang mes péchés et ma personne. Que je meure à moi-même pour naître à toi, à tes frères ! Puisque je suis un membre de ton Corps, offre-moi à Dieu, donne-moi aux autres avec ton propre corps et ton propre sang.
C’est seulement lorsque le Maître rompit le pain que les yeux des disciples d’Emmaüs s’ouvrirent et qu’ils reconnurent Jésus (Lc 24,30-31). La présence de Jésus et la fraction du pain sont inséparables. Jésus est là où le pain est rompu. L’Évangile ne précise pas ce que fut, à Emmaüs, cette fraction du pain. Était-ce un renouvellement du mystère de la dernière Cène ? ou simplement le geste d’un don affectueux ? Quoiqu’il en soit, le pain rompu - qu’il s’agisse du mystère du Corps et du Sang du Christ communiqué aux hommes, ou de l’aide apportée à ceux qui ont faim, ou de ce partage amical de la vie que le repas symbolise - ce pain rompu est le signe auquel se reconnaissent les disciples de Jésus. Signe profond et complexe, indétermination même. Par la fraction du pain accomplie dans l’esprit de Jésus, la présence de Jésus se fait connaître.
Jésus est le pain vivant descendu du ciel (Jn 6,51). L’Évangile l’appelle aussi le pain de vie (Jn 6,35). Il y a plus dans l’idée de pain de vie que dans celle de pain vivant. Parler d’un pain vivant, c’est dire que la vie est une qualité propre de ce pain. Parler du pain de vie, c’est déclarer que cette qualité est communicable. Le pain de vie est un aliment qui donne, qui engendre la vie.
« Je vous laisse ma paix. Je vous donne ma paix » (Jn 14,27). Jésus donne sa paix. Il ne la prête pas. Il ne la reprend pas. La paix qui est en Jésus (« ma » paix) devient la possession définitive des disciples. Je puis, au début de chaque jour, m’établir dans la paix de Jésus, quelles que soient les alarmes que ce jour apporte.
Le Sauveur donne à ses disciples sa paix au moment même où il va entrer dans sa Passion. C’est devant la vision de la souffrance, de la mort immédiates qu’il proclame et communique sa paix. Si Jésus, à cette minute, demeure le maître de la paix, la force de cette paix n’abandonnera pas le disciple dans de moindres orages.
« Mais moi je vous dis de ne pas résister au méchant » (Mt 5,39). Parole scandaleuse et folle aux yeux des hommes, et non seulement de ceux qui ne croient pas. La joue gauche qu’il faut tendre à qui frappe la joue droite, le manteau qu’il faut laisser à qui prend notre tunique, les deux mille pas à faire avec celui qui nous contraint à en faire mille, la bénédiction à prononcer sur quiconque nous maudit, quel accueil ces préceptes trouvent-ils là même où ils devraient être le mieux reçus et compris ? La voie de l’amour de l’ennemi dans le domaine de la vie des nation. comme dans celui de la vie personnelle, l’a-t-on profondément explorée ? « Vous ne savez de quel esprit vous êtes... » (Lc 9,55).
Non-résistance évangélique. Le choix n’est pas entre combattre et ne pas combattre, mais entre combattre et souffrir, - et, par la souffrance, vaincre. Les combats procurent des victoires apparentes, lesquelles ne sont que vanité et illusion, puisque Jésus est la réalité suprême. La souffrance du non-résistant proclame cette réalité suprême de Jésus. Elle est ainsi la vraie victoire. « Cela suffit «, dit Jésus, lorsque ses disciples lui présentent deux épées (Lc 22,38). Les disciples n’avaient pas compris le sens de cette autre parole : « Que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et en achète une » (Lc 22,36). Jésus avait voulu dire : il y a des temps où il faut sacrifier même ce qui semble le plus nécessaire, afin de concentrer notre vigilance sur les assauts du Mauvais. Mais la défense et l’attaque sont toutes deux spirituelles.
Jésus va au devant de la troupe qui, avec des flambeaux et des armes, veut se saisir de lui (Jn 18,4). Il va librement, spontanément, vers sa Passion. Jésus guérit le serviteur dont l’épée d’un disciple avait tranché l’oreille droite (Mt 56,51). Non seulement Jésus ne veut pas que ses disciples le défendent par la force – « Laissez, arrêtez », dit-il - mais il répare le mal que le glaive avait causé (Lc 22,51). C’est le seul miracle opéré par Jésus au cours de sa Passion.
La non-résistance dont Jésus donne l’exemple n’est pas acquiescement au mal ou pure passivité. Elle est une réaction positive. Elle est la réponse que l’amour, cet amour que Jésus incarne, oppose aux entreprises des méchante. Le résultat immédiat semble être la victoire du mal. Mais, à la longue, la puissance de cet amour est la plus forte. La Résurrection a suivi la Passion. La non-résistance des martyrs a lassé et fasciné les persécuteurs eux-mêmes. C’est le sang répandu qui a assuré 1a diffusion de l’Évangile. Pacifisme faible et vague ? Non. Flamme brûlante et victorieuse. Si Jésus, à Gethsémani, avait demandé à son Père le secours des douze légions d’anges (Mt 26,53), il n’y aurait eu ni Pâques, ni Pentecôte.
Matin de Pâques. Les femmes qui, à l’aube, se rendent au sépulcre, portant des aromates, se disent entre elles : « Qui nous roulera la pierre ? » Car une pierre, qui est « très grande », obstrue l’entrée du tombeau. Selon tout calcul humain, il est improbable que les femmes puissent atteindre le corps du Seigneur.
Souvent Jésus semble emprisonné dans mon âme et réduit à l’impuissance, comme il l’était dans le sépulcre avant la Résurrection. La lourde pierre de mon péché le maintient en cet état. Combien de fois j’ai désiré voir Jésus se lever en moi, dans sa lumière et dans sa force ! Combien de fois j’ai essayé de rouler la pierre, - mais en vain ! Le poids du péché, le poids de l’habitude étaient trop forts. Je me disais, presque sans espoir : « Qui me roulera la pierre ? »
Les femmes, néanmoins, sont en route vers le tombeau. Leur démarche est un pur acte de foi. Cette foi - cette folie - aura sa récompense. Je dois, moi aussi, persister dans la folle espérance que la pierre sera enlevée.
Mais les femmes allant au tombeau n’ont pas les mains vides. Elles portent les aromates achetées pour l’embaumement du corps de Jésus. Si je désire que la pierre soit ôtée de mon âme, je dois - au moins comme un signe, un gage de ma bonne volonté - apporter quelque chose. Ce sera peut-être très peu, mais ce doit être quelque chose qui me coûte, quelque chose qui soit de la nature d’un sacrifice.
Et voici : les femmes trouvent que la pierre, à l’entrée du sépulcre, a été ôtée. Elle a été ôtée d’une manière qu’elles ne prévoyaient pas. « Il y eut un grand tremblement de terre ; un ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre ». Pour ôter la pierre, il ne faut rien moins qu’un cataclysme. Il n’eût pas suffi d’une poussée, d’un rajustement partiel. De même, la pierre qui semble immobiliser et paralyser Jésus dans mon âme ne peut être enlevée que par un tremblement de terre, c’est-à-dire par une violente catastrophe intérieure, par un changement radical et total. Il faut qu’une secousse fulgurante m’ébranle. Jésus ne ressuscite en moi que si celui que j’étais cesse d’être, faisant place à l’homme nouveau.
Non une retouche, une mise au point, mais une mort et une naissance.
L’ange fait dire aux disciples que Jésus ressuscité les attend en Galilée. Jésus lui-même renouvelle cet ordre : « Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée ; c’est là qu’ils me verront ». Pourquoi ce retour en Galilée ? Jésus veut-il soustraire ses disciples à l’hostilité des Juifs ? Veut-il, après les anxiétés du temps de la Passion, leur assurer des jours de recueillement et de calme ? Peut-être. Mais il y a, semble-t-il, une raison plus profonde.
C’est en Galilée que les disciples avaient rencontré Jésus. C’est là qu’ils avaient entendu l’appel et commencé à suivre le Sauveur. Le souvenir de ces jours devait garder dans leur âme une fraîcheur de printemps. Après les infidélités de la dernière semaine, Jésus voudrait replonger ses disciples dans cette fraîcheur et cette ferveur premières. Il voudrait renouveler en eux l’émotion, la décision de la première rencontre. Dans l’atmosphère galiléenne ranimée par lui, il complétera sa révélation.
Il y a une Galilée dans la vie de chacun de nous - ou, du moins, dans la vie de ceux d’entre nous qui, un jour, ont rencontré le Sauveur et l’ont aimé. Cette Galilée, c’est, dans mon existence, le temps où je suis devenu conscient que Jésus me regardait et m’appelait par mon nom. Depuis lors, bien des années ont pu s’écouler. Ces années ont pu être chargées de péchés sans nombre. Il peut sembler que j’aie oublié Jésus Christ. Cependant, qui a une fois rencontré Jésus ne peut l’oublier. Jésus m’invite à revenir dans la Galilée de mon âme, à faire revivre en moi l’intimité et la ferveur des premiers jours. Là, de nouveau, je le verrai.
Seigneur, je voudrais revenir en Galilée. Mais te retrouverai-je ? Comment puis-je réchauffer mon âme devenue si froide ? Le souvenir de notre Galilée suffira-t-il à recréer l’émotion de notre première rencontre ?
« Il vous précède en Galilée... » Mon enfant, tu n’auras pas à évoquer péniblement ma présence. Je serai fidèle au rendez-vous que je te donne. Je ferai plus que t’attendre dans cette Galilée du souvenir. Voici que je t’y précède, je t’y conduis. Lorsque ton cœur se sera de nouveau fixé en Galilée, celui qui te guide se fera reconnaître de toi. Et il te parlera...
Le Messager orthodoxe
Reproduit de la revue
Le Messager orthodoxe
Le lendemain, Jésus se proposait de partir
pour la Galilée, et il trouve Philippe... (Jean 1, 43).
Il y a dans cette phrase quelque chose d’inattendu, d’un peu surprenant. Nous aurions peut-être estimé plus naturel que l’évangéliste écrivît : « Jésus rencontre Philippe ». Mais c’est bien le verbe « trouver », au présent (euriskei), que le texte grec original emploie. Le point de départ de la vocation et de l’apostolat de Philippe consiste dans le fait d’être « trouvé «. Quelles sont les implications spirituelles de ce terme ?
Trouver ne signifie pas rencontrer ou découvrir par aventure. Il est vrai que, par une extension fautive, on emploie quelquefois le verbe dans ce sens : j’ai trouvé un portefeuille, j’ai trouvé quelqu’un sur mon passage. Mais, à strictement parler, trouver signifie rencontrer après une certaine recherche. On cherche et l’on trouve ce qui a été perdu, ou ce dont on pressent ou désire l’existence, ou ce qui correspond d’une manière quelconque à une intention, même lointaine. Le fait de trouver implique une certaine relation, une certaine correspondance entre l’être qui cherche et l’être trouvé. Il y a comme une harmonie pré-établie, comme un rapport spécial et privilégié (quoique non toujours explicite) entre l’agent et l’objet de la trouvaille. L’étymologie exprime bien cette action ou cette situation intentionnelles, à tendance, puisque le verbe français « trouver « dérive du latin populaire tropare, « tourner autour «.
Jésus trouve Philippe, – il me trouve, après avoir longtemps, toujours « tourné autour de nous «, si j’ose dire. Il a cherché chacun de nous bien avant notre naissance, de toute éternité, puisque rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. Il nous a éternellement enveloppés de son désir et de sa tendresse. Il y a des instants où nous sentons qu’il s’approche de nous (et ces instants existent dans la vie du plus grand criminel, du plus grand pécheur). À ces moments, son intention va se réaliser, sa recherche va devenir trouvaille, – si l’homme ne se referme pas. Tu crois que le Sauveur ne s’est pas occupé particulièrement de toi ? Mais il t’a cherché depuis toujours, depuis ton existence dans la pensée divine. Ne veux-tu pas être trouvé par lui ?
Et cela s’applique aussi bien aux relations entre les hommes. Je puis rencontrer un homme, ou trouver cet homme, ou être trouvé par lui. Dieu fasse que je ne rencontre pas les hommes, mais que je les trouve et sois par eux trouvé ! Une présence humaine nouvelle, même inattendue, même inconnue, ne doit pas être pour nous un accident, mais le terme d’une recherche obscure, tâtonnante : sans savoir qui je vais trouver, je peux désirer trouver, avoir l’intention de trouver, aimer d’avance ceux que je trouverai. Enfin je te trouve ! Ah, depuis si longtemps je t’ai cherché ! Je pose enfin ma main sur toi et je te déclare : bien des hommes et bien des femmes me sont chers – et chacun m’est autrement cher que toi, – mais nul ne m’est plus cher que toi !
Pascal met sur les lèvres de Jésus parlant à l’homme cette phrase merveilleuse : « Tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé ». Je puis retourner cette phrase : Seigneur, je sens que tu me cherches et, même si je résiste, le fait que tu me cherches me donne un espoir infini, l’espoir que tu me trouveras enfin. Ô mon Sauveur, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé !
Archimandrite Lev Gillet,
Le Messager orthodoxe, No 32, 1965.
Abraham dit à Dieu : « Ô ! qu’Ismaël
vive devant ta face ! « (Genèse 17, 18).
L’Ancien Testament décrit plusieurs « contestations » entre Dieu et tel ou tel patriarche, ou tel et tel prophète. C’est ici le cas. Abraham et sa femme Sara sont presque centenaires. Ils sont riches, heureux, Abraham a eu d’Agar un fils, Ismaël, et Dieu a conclu avec eux une alliance. Et voici qu’une parole divine vient troubler leur paix. El Schaddaï, Dieu, apparaît à Abraham. Il lui annonce que Sara aura un fils, Isaac, et qu’avec celui-ci sera établie une nouvelle et perpétuelle alliance. Pourquoi bouleverser ainsi l’ordre des choses ? Tout allait si bien ! Abraham fait à Dieu une réponse aussi évasive (et secrètement négative) que déférente. Sans aucune allusion à Isaac, il s’exclame : « Ô ! qu’Ismaël vive devant ta face ! » – Mais Dieu déclare : « Non... En faveur d’Ismaël, je t’ai entendu : je le bénis, je le ferai croître extrêmement et je ferai de lui un grand peuple. Mais mon alliance, je l’établirai avec Isaac » (cf. Gn 17,20-21).
Il ne s’agit pas de commenter ici cet épisode du point de vue historique, encore moins d’en faire une application aux antagonismes présents entre certains descendants d’Ismaël et certains descendants d’Isaac. Essayons plutôt de dégager du récit biblique une signification actuelle, éternelle – et, pour chacun de nous, personnelle.
Il y a, dans la vie de chaque homme, un Isaac et un Ismaël. Ismaël, c’est notre situation telle qu’elle se présente aujourd’hui. C’est notre existence devant les hommes et devant Dieu, existence peut-être heureuse ou peut-être pénible, peut-être louable ou peut-être blâmable, mais enfin – pour la plupart – tolérable et non sans quelque espérance. Mais voici que Dieu intervient (et peut-être maintes fois) comme un explosif, un briseur d’équilibre, un semeur d’incertitude et d’anxiété. Il nous annonce que cela ne va pas continuer et qu’il nous donnera un enfant indésiré, inattendu, avec lequel il fera de grandes choses. Cet Isaac, c’est quelque nouvelle exigence divine, un changement de programme, un appel à un dépassement variable selon chaque personne, mais d’apparence pénible et même insensée. Notre première réaction est une dérobade. Ah, Seigneur, tout était si bien avec Ismaël ! Pourquoi Ismaël ne pourrait-il pas durer ? Je ne suis plus d’un âge où l’on puisse recommencer, avec ce problématique Isaac. Ah, Seigneur, qu’Ismaël vive devant toi !
Dieu nous répond résolument : « Non ». Il a béni notre Ismaël et tout ce qui était bon dans la vie qui a été la nôtre. Mais, ce qu’il demande de nous maintenant, c’est que nous acceptions – et chaque jour – une vie nouvelle, des tâches nouvelles, la catastrophe et la révolution intérieures, la venue de l’enfant (et, après Isaac, l’enfant de Bethléem). Recevons Isaac. Disons à Dieu : Oui, Seigneur, béni sois-tu pour Ismaël, mais qu’Isaac soit en moi le bienvenu ! Que désormais vive devant toi celui que tu veux que je devienne !
Archimandrite Lev Gillet,
Le Messager orthodoxe, No 42-43, 1968.
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