Entré du Christ à Jérusalem - Icône de la fête
Fresque de Léonide Ouspensky
Église des Trois Saints Hiérarques, Paris
Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky
Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky
L'Entrée du Christ à Jérusalem
Les icônes de l'Entrée du Christ à Jérusalem se distinguent généralement par un air de grande solennité et de fête, ce qui correspond parfaitement au caractère de la fête elle-même : celle-ci, rompant avec la rigueur et le recueillement du Carême, est déjà une anticipation de la joie pascale. Cette atmosphère de fête s'exprime dans l'icône par l'aspect éclatant de la ville de Jérusalem, souvent peinte en rouge ou en blanc, par les vêtements étendus par terre formant des taches de couleurs vives ... Le groupe des apôtres qui suit le Christ et la foule qui va à Sa rencontre forment chacun une seule masse composée de personnages multiples avec le Christ majestueux entre les deux, ce qui confère à la composition un équilibre rigoureux. La foule est statique, ce qui est accentué par la verticale du mur de la ville; à l'inverse la ligne fluide de la colline et celle de l'arbre, qui semble répéter et presque se confondre avec le mouvement du Christ et des apôtres, ajoutent à cette composition un grand dynamisme. La raison immédiate du triomphe populaire qui accompagna l'entrée du Seigneur dans Jérusalem, était, selon l'évangile de saint Jean, la résurrection de Lazare, « lorsqu'une foule nombreuse de gens, ayant entendu que Jésus se rendait à Jérusalem, prirent des branches de palmiers et allèrent au-devant de Lui » (Jn 12,12-13). La branche de palmier est symbole d'allégresse et de triomphe; les Juifs en tenaient à la main lorsqu'ils allaient à la rencontre de personnages importants. C'est elle aussi que l'on remettait comme récompense aux vainqueurs. Aussi c'est avec des branches de palmiers que la foule va au-devant du Christ, vainqueur de la mort, monté sur un âne(1). Le Seigneur est assis de côté, Sa tête est légèrement tournée soit vers les apôtres qui Le suivent, soit vers Jérusalem; Sa main droite bénit ou indique la foule et la ville. En règle générale, dans les icônes de l'Entrée à Jérusalem, un grand rôle est réservé aux enfants : certains, perchés dans l'arbre, coupent des branches, d'autres étalent des vêtements sur la route devant le Christ et, avec les adultes, vont au-devant de Lui portant des palmes. Il est, certes, difficile d'imaginer une foule, surtout une foule en fête, où il n'y ait pas d'enfants. Cependant les évangélistes ne les mentionnent pas. En décrivant l'événement, ils disent qu’« une grande foule de gens étendirent leurs vêtements sur le chemin » (Mt 21, 8), mais ne précisent pas que c'étaient des enfants. Cependant dans les icônes ce ne sont pas les adultes(2), mais les enfants seuls qui étendent les vêtements(3). Saint Matthieu, en mentionnant les enfants qui saluèrent le Christ après Son entrée à Jérusalem, lorsqu'il chassa les marchands du Temple et guérit des malades, explique leur rôle par les paroles du Sauveur Lui-même : « Dans la bouche des enfants et des nourrissons Tu as mis Ta louange » (Ps 8, 3). L'Église, dans sa Tradition, leur attribue ce même rôle lors de l'Entrée du Seigneur à Jérusalem(4), et sur les sarcophages les plus anciens nous ne voyons que des enfants seuls. Leur rôle est souligné tant par les icônes que par la liturgie de la fête qui y voit une signification et un sens très profonds. L'entrée triomphale à Jérusalem est l'accomplissement de la prophétie qui voit dans le Christ le Roi à venir : « Sois transportée d'allégresse, fille de Sion! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem! Voici, ton Roi vient à toi; Il est juste et victorieux, Il est humble et monté sur un âne, le petit d'une ânesse » (Za 9, 9)(5). Pour les Juifs il s'agit d'un malentendu : en allant au-devant du vainqueur tout-puissant de la mort, « Jésus le prophète », ils attendaient de Lui, en tant qu'accomplissement des prophéties, l'établissement du royaume d'Israël en ce mode, c'est-à-dire la victoire sur les ennemis par leur anéantissement physique. Or, ce qui se passa ce jour-là à Jérusalem fut précisément le contraire de ce qu'attendaient les Juifs : la victoire se préparait bien sur leurs ennemis, mais par leur salut spirituel. Les lectures scripturaires de la fête révèlent ce malentendu et nous préviennent contre lui : après la lecture, aux vêpres, des prophéties sur le Christ Roi à venir, on lit aux matines l'évangile selon saint Matthieu où les paroles du Christ Lui-même expliquent le sens de ces prophéties : « Toutes choses M'ont été données par mon Père... » - c'est le pouvoir illimité. Vient ensuite l'explication de ce qu'est ce pouvoir (la révélation du Père) et son vrai caractère : « Prenez Mon joug sur vous et apprenez de Moi, car Je suis doux et humble de cœur; et vous trouverez le repos pour vos âmes » (Mt 11. 27-30). Au cours de la liturgie, on lit l'évangile de saint Jean (12, 1-18) : la préparation symbolique du Christ pour la sépulture (l'épisode de la femme qui oignit Ses pieds de nard) et la description de l'entrée à Jérusalem. Ainsi le sens de l'événement est progressivement dévoilé. Les Juifs qui accueillaient le Christ avec des palmes dans les mains, n'ayant pas obtenu ce qu'ils attendaient, ayant refusé ce qui leur était offert, allaient crier quelques jours plus tard à Pilate : « Crucifie-Le. » C'est pourquoi l'allégresse et la joie des enfants qui accueillaient le Christ de façon désintéressée, sans aucune arrière-pensée de pouvoir terrestre, sont mis en contraste dans la liturgie de la fête avec le triomphe de l'assemblée des Juifs qui espéraient justement le pouvoir (« [...] et les enfants Te chantaient comme il convient à Dieu, alors que les Juifs Te blasphémaient avec iniquité... ») – stichère ton 8 aux vêpres. « Assemblée maligne et adultère, toi qui n'as pas gardé la fidélité à ton époux, pourquoi observes-tu le testament dont tu n'as pas été héritière ? [...] tes propres enfants te confondent, eux qui chantent : Hosanna au Fils de David, béni est celui qui vient au Nom du Seigneur » (stichère ton 7 aux vêpres du dimanche des Rameaux)(6). Les icônes traduisent cette idée non seulement en représentant les enfants portant des palmes, mais surtout en les montrant étalant leurs vêtements. Selon la Bible (2 R 9, 13), cet usage est un tribut dû au Roi oint. Mais le Christ est l'Oint pour le « Royaume qui n'est pas de ce monde » (Jn 18, 36) et c'est pourquoi seuls les enfants étalent les vêtements devant Lui et non les adultes qui L'accueillaient en tant que oint pour un royaume terrestre. Ainsi l'entrée solennelle du Christ à Jérusalem, qui est Sa marche vers la Passion volontaire et la mort, est une image de l'instauration du Roi de gloire dans Son Royaume. Quant à Jérusalem, elle est une image de ce Royaume de Dieu, de la Jérusalem céleste. C'est pour cela que, dans l'icône, on la voit parée de couleurs si lumineuses.
Notes
1. Comme les ânes ne sont pas connus dans beaucoup de régions en Russie, on voit souvent un cheval au lieu d'un âne dans les icônes russes.
2. Sauf à titre d'exception extrêmement rare.
3. Ce rôle des enfants est souligné dans les représentations de !'Entrée à Jérusalem dès la haute Antiquité, comme dans les illustrations de L'Évangéliaire de Rossano du VIe siècle ou l'iconographie de cette fête est déjà complète; encore plus tôt on voit la même chose sur les sarcophages du Latran où la composition est plus simple. Voir par exemple GARUCCCI, Storia dell'Arte christiana, Prato, 1879, p. CCCXM, 4 ou CCCIV, 5.
4. Ce rôle est aussi mentionné dans l'évangile apocryphe de Nicodème.
5. Le début de la 3e parémie de la fête (Za 9, 9-15). La première parémie est : Gn 49, 1-2, 8-12; la seconde est la prophétie de Sophonie 3, 14-19.
6. C'est pourquoi l'Église, en bénissant en ce jour des branchages (d'où le nom de dimanche des Rameaux) appelle les fidèles à accueillir le Sauveur qui marche à Son immolation en "tenant comme les enfants les signes de Sa victoire ", et non comme L'accueillaient les Juifs.
Source : Léonide Ouspensky et Vladimir Lossky,
Le Sens des icônes, Paris, Le Cerf, 2004, pp. 161-165.