Pages de la paternité spirituelle

Saint Séraphim de Sarov

Saint Séraphim de Sarov
(Fraternité monastique
Saint-Séraphim-de-Sarov,
Rawdon, Québec)

Saint Ignace Briantchaninov : De la vie menée en suivant des conseils spirituels

 

 

 

La vie spirituelle telle qu’elle est accordée par la providence de Dieu à notre époque est fondée sur les directives fournies, dans l’oeuvre de notre salut, par la sainte Écriture et par les écrits des saints Pères ; ces directives doivent être accompagnées de conseils et d’instructions reçus de pères et de frères contemporains. C’est proprement l’obéissance des moines d’autrefois, mais sous une forme différente, adaptée à notre faiblesse qui est avant tout spirituelle. Dans les temps anciens, les maîtres pneumatophores transmettaient directement et sur-le-champ la volonté de Dieu à leurs disciples, ce qui leur permettait d’accomplir de rapides progrès. Aujourd’hui, les moines doivent rechercher eux-mêmes la volonté de Dieu dans l’Écriture et sont, par conséquent, fréquemment exposés à des hésitations et à des erreurs prolongées ; aussi leurs progrès ne sont-ils pas rapides. Telle est la volonté de Dieu à notre égard. Nous devons nous y soumettre, et la révérer avec gratitude.

Notre vie monastique actuelle, menée à la lumière des Écritures et des conseils de nos pères et de nos frères, est sanctionnée par l’exemple de l’initiateur du monachisme, saint Antoine le Grand. Il n’était pas rattaché à un ancien par un lien de stricte obéissance. Durant les premiers temps de sa retraite, il vivait à l’écart et cherchait son instruction dans les Écritures et auprès de différents pères et frères : de l’un, il apprit l’abstinence ; d’un autre, la douceur, la patience et l’humilité ; auprès d’un troisième, une stricte vigilance sur soi-même et le silence intérieur. Il s’efforçait de s’assimiler la pratique de chaque moine, étant, dans la mesure du possible, obéissant envers tous, s’humiliant devant tous et priant Dieu sans cesse.

Novice, agis, toi aussi, de cette manière. Sois obéissant envers ton supérieur et envers les autres autorités du monastère, sans hypocrisie et sans servilité ; fais preuve d’une obéissance libre de toute flatterie et de toute adulation : sois obéissant par amour de Dieu. Prête obéissance à tous les pères et à tous les frères quand ils te commandent quelque chose qui ne soit pas contraire à la Loi de Dieu, ni à la règle et à l’ordre du monastère, ni aux directives des pères responsables. Mais en aucun cas n’obéis à ce qui est mal, même si tu dois endurer quelque désagrément à cause de ta fermeté et de ton refus de plaire aux hommes. Demande conseil à des pères et à des frères riches en vertus et en sagesse ; mais n’adopte leurs conseils qu’avec une extrême prudence et circonspection. Ne t’enthousiasme pas pour un conseil en te fiant à ta première impression. À cause de ta nature passionnelle et de ton aveuglement, un conseil pernicieux et inspiré par une passion peut te plaire simplement du fait de ton ignorance et de ton inexpérience, ou encore parce qu’il flatte quelque passion cachée qui vit en toi à ton insu.

Avec larmes et gémissements, supplie Dieu de ne pas te permettre de dévier de sa sainte volonté pour suivre une volonté humaine déchue, la tienne ou celle de ton prochain, de ton conseiller. Teste au moyen de l’Évangile tes propres pensées, ainsi que celles de ton prochain et ses conseils. Les hommes vaniteux et présomptueux aiment à enseigner et à donner des instructions. Ils ne se soucient pas de la valeur de leurs conseils. Il ne leur vient pas à l’esprit qu’ils peuvent causer à leur prochain des dommages irréparables par un conseil absurde, mais qu’un débutant inexpérimenté accepte avec une confiance aveugle, avec un emballement de la chair et du sang. Il leur faut des succès, quelle que soit la nature de ces succès, quelle qu’en soit l’origine. Il leur faut produire une impression sur le débutant et le soumettre moralement à eux-mêmes. Ils ont besoin de la louange des hommes. Ils veulent être tenus pour des saints, pour des hommes de bon conseil, pour des starets, pour des maîtres possédant le don de discernement. Ils ont besoin d’alimenter leur insatiable vanité, leur orgueil. La prière du Prophète a toujours été justifiée, mais elle l’est particulièrement maintenant : Seigneur, sauve moi ! Il n’est plus de saints, la vérité a disparu parmi les fils des hommes. Ils ne font que mentir, chacun à son prochain, lèvres trompeuses, langage d’un coeur double (Ps 11, 2-3).

Un discours faux et hypocrite ne saurait manquer d’être mauvais et néfaste. Pour se protéger contre une telle attitude, il est indispensable de prendre des mesures de précaution. " Étudie la divine Écriture, dit Syméon le Nouveau Théologien, et les écrits des saints Pères, en particulier ceux qui ont trait à la vie active et ascétique, afin qu’en comparant à leur enseignement les instructions et la conduite de ton maître ou ancien, tu puisses voir leurs instructions et leur conduite comme dans un miroir et comprendre comment tu dois agir. Si elles sont en accord avec la sainte Écriture, tu peux les adopter et les garder dans ton esprit, mais si elles sont fausses et mauvaises tu dois les rejeter afin de ne pas tomber dans l’erreur. Car tu dois savoir que nombreux sont les imposteurs et les faux-maîtres qui sont apparus de nos jours1 ".

Saint Syméon vivait au dixième siècle après la naissance du Christ, neuf siècles avant nous ; déjà à cette époque, s’éleva dans la sainte Église la voix d’un juste déplorant le manque de vrais guides pneumatophores et le grand nombre de faux docteurs.

Avec les siècles, les maîtres compétents du monachisme devinrent de plus en plus rares. Les saints Pères se mirent alors progressivement à recommander de prendre pour guide la sainte Écriture et les écrits patristiques. Saint Nil Sorski, faisant allusion aux Pères qui avaient vécu avant lui, écrit  " Ce n’est pas une mince affaire, disent-ils, que de trouver un maître sûr, et qui puisse servir de guide pour cette oeuvre merveilleuse (l’authentique prière du coeur et de l’esprit pratiquée par les moines). Ils appelaient sûr celui dont les actes et les idées étaient confirmés par la sainte Écriture, et qui avait acquis le discernement spirituel. Même alors, à ce que disent les saints Pères, il était extrêmement difficile de trouver un vrai maître qui puisse enseigner ces sujets. Mais maintenant, alors que leur nombre a diminué à l’extrême, il faut les chercher avec tout son zèle. Cependant si l’on n’en trouve pas, les saints Pères nous ordonnent de nous mettre à l’école de la sainte Écriture, d’obéir au Seigneur lui-même qui nous dit : Scrutez les Écritures, et vous trouverez en elles la vie éternelle (Jn 5, 39). Or, tout ce qui a été écrit dans les saintes Écritures l’a été pour notre instruction (Rm 15, 4)2 ".

Saint Nil Sorski vivait au XVe siècle. Il fonda un skite non loin du Lac Blanc, où il se consacra à la prière dans une profonde solitude. Il est bon pour les pères spirituels d’aujourd’hui d’écouter avec quelle humilité et avec quel effacement saint Nil s’exprime au sujet des instructions qu’il donnait à ses frères : " Personne ne doit, par négligence, tenir cachées les paroles de Dieu, écrit-il, mais on doit confesser sa faiblesse et, en même temps, ne pas cacher la vérité de Dieu, sinon nous serons coupables d’avoir transgressé ses commandements. Ne dissimulons pas la Parole de Dieu, mais faisons-la connaître. Les saintes Écritures et les paroles des saints Pères sont aussi nombreuses que les grains de sable de la mer ; les scrutant inlassablement, nous les enseignons à ceux qui viennent à nous et qui en ont besoin (ceux qui demandent, qui posent des questions). Plus exactement, ce n’est pas nous qui enseignons, car nous ne sommes pas dignes de le faire, mais ce sont les saints Pères qui le font à partir de la sainte Écriture3 ".

Nous avons ici le modèle par excellence pour la direction spirituelle à notre époque. Il est absolument salutaire, et pour le maître, et pour son disciple. Il est l’expression exacte d’un progrès spirituel équilibré. Il implique le rejet de la présomption, de l’insolence et de la folle témérité dans lesquelles tombent ceux qui cherchent à imiter extérieurement Barsanuphe le Grand et d’autres Pères illustres, mais sans avoir reçu la même grâce qu’eux. Ce qui chez les Pères était l’expression d’une abondante présence du Saint-Esprit manifeste chez ces imitateurs insensés et hypocrites leur profonde ignorance, leur aveuglement, leur orgueil et leur confiance excessive en eux-mêmes.

Frères bien-aimés, exposons la Parole de Dieu en toute humilité et avec toute la révérence possible, en nous reconnaissant nous-mêmes bien incompétents pour ce ministère et en nous gardant de la vanité qui attaque violemment les hommes soumis aux passions lorsqu’ils instruisent leur frère. Pensez-y : nous aurons à rendre compte de toute parole vaine (Mt 12, 36) ; combien plus terrible sera-t-il de rendre compte de la Parole de Dieu prononcée avec vanité et par motif de vaine gloire ! Que le Seigneur retranche toute lèvre trompeuse, la langue qui fait de grandes phrases, ceux qui disent : À nous le pouvoir de la langue, nos lèvres sont pour nous, qui serait notre maître ? (Ps 11, 4-5).

Le Seigneur retranchera ceux qui cherchent leur propre gloire et non celle de Dieu. Craignons la menace du Seigneur. Disons une parole d’édification quand c’est vraiment nécessaire, non comme des maîtres mais comme des hommes qui ont eux-mêmes besoin d’être instruits et qui tâchent de se pénétrer de l’enseignement donné par Dieu dans son Verbe très saint. Mettez-vous, dit le saint apôtre Pierre, chacun selon le don qu’il a reçu, au service les uns des autres, comme de bons administrateurs de la grâce de Dieu, variée en ses effets. Si quelqu’un parle, que ce soit pour transmettre les paroles de Dieu, en les respectant et en craignant Dieu, et non pour imposer ses propres idées ; si quelqu’un assure le service, que ce soit avec la force que Dieu accorde, et non comme par la sienne propre, afin qu’en toutes choses Dieu soit glorifié par Jésus-Christ (1 P 4, 10-11).

Qui agit en son propre nom, agit pour sa propre gloire. Il s’offre lui-même et ceux qui l’écoutent en sacrifice à Satan. Qui agit au nom du Seigneur, agit pour la gloire du Seigneur ; il accomplit son propre salut et celui de son prochain par le Seigneur, seul Sauveur des hommes. Redoutons de donner à un débutant quelque enseignement irréfléchi, non fondé sur la Parole de Dieu et sur une compréhension spirituelle de cette Parole. Mieux vaut reconnaître sa propre ignorance que de répandre un enseignement nuisible aux âmes. Gardons-nous d’un grand désastre : transformer un serviteur de Dieu (un débutant crédule) en esclave des hommes (cf. 1 Co 7, 23), en l’amenant à accomplir la volonté déchue d’un homme au lieu de la très sainte volonté de Dieu4.

La modeste relation entre celui qui donne des conseils et le disciple qui les reçoit, est tout autre que les rapports qui lient un starets à un novice qui pratique une obéissance inconditionnelle, qui s’est fait esclave au nom du Seigneur. Un simple conseil n’implique pas la condition qu’il faille à tout prix l’exécuter : on peut le suivre ou ne pas le suivre. Le conseiller n’endosse aucune responsabilité pour son conseil, s’il l’a donné avec crainte de Dieu et humilité, non de sa propre initiative mais à la demande instante de celui qui l’interroge. De même, celui qui a reçu un conseil n’est pas lié par lui ; il garde sa liberté d’appréciation pour décider s’il va suivre ou non le conseil reçu. Il est clair que la voie des conseils, tout comme celle qui consiste à suivre la sainte Écriture, correspond aux besoins de notre époque décadente.

Notons que les Pères interdisent de donner des conseils aux autres son propre mouvement, sans y avoir été invité par eux. Prendre l’initiative de donner des conseils aux autres est le signe que l’on s’attribue une connaissance et une dignité spirituelles, ce qui est une preuve évidente d’orgueil et d’aveuglement5. Cela ne concerne pas les supérieurs ni les responsables qui sont chargés d’instruire en tout temps, chaque fois que c’est nécessaire et sans y avoir été invités, les frères qui leur sont confiés (cf. 2 Tm 4, 2). Mais lorsqu’ils visitent d’autres monastères, ils doivent suivre le conseil donné par Saint Macaire d’Alexandrie à saint Pacôme le Grand. Pacôme interrogeait Macaire sur la façon d’enseigner et de juger les frères. Abba Macaire lui répondit : " Instruis et juge ceux qui te sont soumis, mais ne juge pas ceux de l’extérieur5 ". Tous les supérieurs désireux de plaire à Dieu ont gardé et continuent de garder ce précepte.

Extrait du livre de saint Ignace Briantchaninov,
Introduction à la tradition ascétique de l’Église d’Orient.
Présence, Sisteron, 1978.


RÉFÉRENCES

1. Philocalie, ch. 33, t. III.
2. Saint Nil Sorski, Règle monastique ou Tradition, Introduction.
3. Ibid. Il ne sera pas superflu de noter ici que saint Nil Sorski, bien qu’il ait reçu la grâce de Dieu, ne se risquait pas de commenter l’Écriture par lui-même, mais recourait aux explications données par les Pères. La voie de l’humilité est la seule voie sûre menant au salut.
4. Il n’est pas allusion ici à l’obéissance monastique extérieure, ni aux travaux et occupations assignés par les autorités du monastère, mais à l’obéissance intérieure, cachée, qui s’exerce dans l’âme.
5. Opinion du saint martyr et évêque Pierre, métropolite de Damas, et d’autres Pères ; cf. Philocalie, t. III.
6. Apophtegmes, Macaire d’Alexandrie.


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Dernière mise à jour : 06-07-99