Père Lev Gillet

Père Lev Gillet « Un Moine de l'Église d'Orient »

Homélie prononcée aux Funérailles du père Lev Gillet

par Mgr Antoine (Bloom),
Métropolite de Souroge

Mgr Antoine (Bloom)


Lors de la Sainte Cène, alors qu’il entrait dans les jours tragiques de sa Passion, le Seigneur dit à ses disciples : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m’en vais, car je m’en vais vers mon Père. » Et faisant écho à sa parole, l’Église, pleine de foi et d’espérance, chante aujourd’hui : « Bénie est la route qui s’ouvre devant toi, ô âme humaine, car un lieu de repos t’a été préparé. »

Nos cœurs sont lourds de tristesse aujourd’hui, car nous disons un dernier adieu à un homme que nous avons aimé et respecté. Et cependant nous devons, pouvons être dans l’allégresse car son vœu le plus cher est maintenant accompli. L’élan de son âme le portait vers ce but, l’a porté au but. Tout l’effort, toutes les luttes de sa personne, si tourmentée, si déconcertante par moments, n’étaient-ils pas orientés vers une seule fin : la rencontre avec le Seigneur que son cœur avait reconnu et qu’il avait cherché dans l’immense complexité de sa démarche, avec toute la détermination, tout le courage qui lui avaient été impartis. «  Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un gain », aurait-il dit.

Et maintenant, il a atteint le terme de sa carrière. Il s’est prosterné devant son Seigneur et son Dieu, son Sauveur, dans une silencieuse adoration, dans un mystère de communion.

Avant d’en dire plus, permettez-moi de lire quelques passages des Écritures que le père Lev avait lui-même choisis il y a près de cinquante ans, en mémoire d’un homme qu’il avait profondément aimé. Les voici :

« Reçois moi, Seigneur, selon ta parole, et je vivrai. Et ne me confonds pas dans mon attente. » (Psaume 118, 116).

« Je crois que mon Rédempteur est vivant et qu’au dernier jour je ressusciterai de terre ; et de nouveau je serai revêtu de mon corps et dans ma chair je verrai Dieu mon Sauveur. Je le verrai moi-même, et non un autre, et mes yeux le regarderont. C’est là mon espérance qui repose en mon sein. » (Job 19, 25-27).

« Je t’ai aimé d’un amour éternel. C’est pourquoi je t’ai attiré, ayant pitié de toi. Je te relèverai et de nouveau tu seras debout. » (Jérémie 31, 3-4).

« Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, lors même qu’il serait mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra pas à jamais. » (Jean 11, 25-26).

« Lorsque ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors s’accomplira la parole de l’Écriture : la mort a été engloutie dans la victoire. Ô Mort, où est ton aiguillon ? » (1 Co 15, 54-55).

Et cette oraison :

« Ô Dieu, dont le propre est d’avoir pitié toujours et de pardonner, nous t’implorons et te supplions pour l’âme de ton serviteur que tu as retiré de ce siècle. Ne la livre point aux mains de l’ennemi et ne l’oublie pas à jamais. Mais ordonne à tes saints anges de la recevoir et de la conduire dans la patrie du Paradis. Qu’ayant espéré et cru en toi, elle ne souffre point les peines de l’enfer, mais possède la joie éternelle. Par le Christ, notre Seigneur. Amen. » (tiré du Missel romain).

Paroles de foi et d’espérance que nous pouvons adresser maintenant au Seigneur, au nom du père Lev. Maintenant qu’il repose dans son cercueil, tout ce qui en lui était argile, est poussière. Maintenant que tout le crépuscule de son âme s’est éclairé, toutes les ténèbres se sont dissipées, il ne reste plus que paix, là où la tempête régnait, la tempête du devenir humain qui le rendait si souvent inapprochable, incompréhensible, troublant à ceux qui ne le connaissaient point.

Maintenant l’ivraie est séparée de la graine. Terre, elle sera bientôt restituée à la terre. Mais que dire du bon froment ? Ne sommes-nous pas tous, qui en petit nombre sont présents ici, et les centaines, bientôt peut-être les milliers de ceux qu’aura atteint sa parole, entendue ou lue, ne sommes-nous pas tous le champ où il a semé d’une main généreuse, dans l’intimité des conversations privées, dans le cercle étroit de ses amis, dans ses méditations et ses sermons, dans ses livres qui s’adressaient à tous, ce froment, semé à tout vent, qu’était son âme même, vibrante, et qui appelait chacun à veiller et à vivre ? Ne sommes-nous pas le sceau de son apostolat ? Et chacun de nous ne doit-il pas se demander où est tombée en lui la semence : sur la pierre, au bord du chemin, dans les ronces ou, peut-être, plaise à Dieu, sur un terrain fertile ?

Le père Lev ne nous assure-t-il pas qu’une repentance sincère, une conversion entière peut faire du sol le plus ingrat une terre d’élection où la Parole pourra germer et porter des fruits de sainteté et d’éternité ? Combien n’a-t-il pas œuvré, labourant, fécondant, taillant sans merci ! Une de ses filles spirituelles ne l’a-t-elle pas défini, sobrement, en disant que «  Les conseils du père Lev ont la pureté, mais aussi la dureté du diamant. »

Un jour nous serons tous devant la face du Seigneur. Le père Lev qui, dès son enfance, a donné son cœur à la pauvreté, se tiendra silencieux et retissant, les mains vides devant Dieu. Les mains vides, car il aura tout donné, conscient seulement d’être un pécheur dont la seule espérance repose dans la gratuité de l’amour de Dieu.

Ne sera-t-il pas merveilleux alors pour ceux qui n’auront pas entendu sa voix en vain et qui l’auront aimé activement, de présenter au Seigneur le fruit de leur vie et de lui dire : « Je n’ai été qu’un champ, le père Lev a été le semeur, sa parole la semence. Que ma vie toute entière soit maintenant à sa gloire ! »

En ce jour, celui qui aura semé dans les larmes, récoltera dans l’allégresse. Et le semeur et le maître de la moisson se réjouiront d’une joie commune. Mais pour que notre vie puisse être un tel témoignage, il nous faut porter fruit. Le père Lev a porté fruit et nous a transmis un flambeau. Et le feu qui y brille, le feu qui y brûle, est ce feu même que le Christ a apporté sur terre : l’ardeur de l’Esprit Saint.

C’est au jour de la résurrection de Lazare que le père Lev a quitté cette terre. Il a vécu ses premières Pâques là où il n’y a ni souffrance, ni soupir, où la vie éternelle emplit tout, déferle puissamment, victorieusement, où le jour n’a pas de crépuscule.

Nous allons aujourd’hui déposer dans la tombe tout ce qui en lui était cendre, tout ce qui était imparfait, inaccompli, et attendre dans la joie anticipée et l’espérance le jour où nous pourrons dire : « Mort, où est ton aiguillon ? Où donc est ta victoire ? » Le jour où d’un seul cœur et d’une seule bouche nous proclamerons dans la sobre et sereine exaltation de la vie éternelle : « Le Christ est ressuscité ! Christos voskressé ! Christos anesti ! » Amen.

Contacts, No 116, 1981.


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Première mise en ligne : 24-08-12.