Vie spirituelle

Être chrétien dans le monde aujourd'hui : Le ministère du père Cyrille Argenti

Pages du mariage et de la vie chrétienne dans le monde


Le père Cyrille Argenti (1919-1994)

Le père Cyrille Argenti (1918-1994)


Être chrétien dans le monde aujourd'hui :
Le ministère du père Cyrille Argenti

Le père Cyrille Argenti (1918-1994) :
Travailleur infatigable dans la vigne du Seigneur

par Valère De Pryck et Paul Ladouceur

Textes du père Cyrille Argenti :

Quelle spiritualité pour de jeunes laïcs ?
Vivre en chrétien et prier dans le monde
À quoi bon l’Église ?

La liturgie et la vie

Pour aller plus loin - le père Cyrille Argenti


LE PÈRE CYRILLE ARGENTI (1918-1994),
TRAVAILLEUR INFATIGABLE
DANS LA VIGNE DU SEIGNEUR

par Valère De Pryck et Paul Ladouceur

Cyrille Argenti (Argentis) naquit en 1918 dans une famille de la bourgeoisie grecque à Marseille. Il fut baptisé à sa naissance, mais comme ses parents n’étaient pas pratiquants, sa grand-mère l’amenait communier une fois par an pendant la Semaine sainte. Sa mère l’a très bien éduqué et il l’admirait, mais c’est sa gouvernante, catholique et très croyante, qui lui apprit le Notre Père et la Salutation angélique (" Je vous salue, Marie "), à dire matin et soir.

Vers 18 ans, Cyrille dut prendre une décision importante dans une crise familiale très aiguë, où la pression familiale et sociale allait dans un sens. Il alla prier dans une église pour que sa décision corresponde à la volonté de Dieu. Ce qui en ressortit était en opposition avec la pression sociale, mais tout s’est arrangé d’une merveilleuse façon. Il vécut cette expérience de façon très intense.

Vers l’âge de 19 ans environ, il fut sollicité pour lire le récit de la Résurrection à des plus jeunes. En lisant le récit de Jean et de Pierre au tombeau du Christ, il s’est rendu compte que c’était là le récit d’un témoin oculaire et c’est à ce moment que la Résurrection lui est apparue comme une réalité. Cela aussi allait le marquer pour la vie.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, après l’occupation de Marseille par les Allemands en 1942, il aida à sauver des dizaines de juifs, ce qui lui valut la distinction de " Juste parmi les nations " en 1990, discerné par l’organisme juif Yad Vashem, aux non-juifs qui aidèrent les juifs pendant la guerre. Arrêté par la Gestapo en 1944, Cyrille fut libéré et échappa à l’exécution d’une façon tellement invraisemblable qu’il ne put qu’y voir la main de Dieu. Il venait de rencontrer le Dieu vivant. C’était sa troisième rencontre.

Avant la guerre, Cyrille avait étudié la philosophie à Aix-en-Provence et à Oxford et après la guerre il étudia la théologie à Athènes. Il passa ensuite cinq mois dans un monastère sur l’île de Paros pour apprendre à célébrer la Divine Liturgie. C’est là qu’il comprit également l’essentiel de la vie monastique : être seul avec Dieu. Aux moments essentiels de la vie, il réalisa que chacun est seul devant Dieu. Durant tout son apostolat, Cyrille resta un vrai moine, moine dans la ville, comme mère Marie Skobtsov et le père Lev Gillet.

Ordonné prêtre en 1950, il fut nommé vicaire de la paroisse grecque de Marseille et il y resta jusqu’en 1962. Son ministère y fut orienté largement vers les enfants, les jeunes et les personnes âgées, suivant en cela le conseil d’un vieux prêtre catholique. Pauvre, le regard clair et souriant, sa spiritualité était l’amour du Christ, l’intégration au Christ. Lors du rassemblement des jeunes, il aimait lire d’une voix forte la Prière sacerdotale de Jésus en l’Évangile de saint Jean. Avec ses biens, il construisit le Nid Saint Georges pour aider spirituellement et socialement les personnes pauvres vivant dans la précarité. Il fut enterré dans le jardin de cette maison.

En 1962, il passa six mois à l’hôpital suivis de six mois de convalescence, à cause d’un rhumatisme articulaire qui le laissa totalement paralysé. C’est après cette maladie que le père Cyrille commença à donner des conférences et des causeries, ce qui le poussa à une réflexion théologique sur trois sujets en particulier, la Sainte Trinité en tant que Dieu-amour, le sens et la structure de la liturgie et la conciliarité dans l’Église.

En 1964, il reçut l’autorisation de célébrer un première liturgie en français, ce qui n’était pas du tout évident à cette époque. Il commença ainsi à dégager la communauté liturgique de la communauté ethnique.

Pendant la dictature des colonels en Grèce (1967-1974), le père Cyrille s’engagea dans un combat pour l’indépendance de l’Église vis-à-vis du pouvoir civil. Il entra en conflit avec le consulat de Grèce et l’épiscopat. Le métropolite Mélétios l’éloigna alors de Marseille quelque temps afin de le protéger, mais il garda son franc parler.

Vers 1978, on commença à Marseille la construction de l’église Saint Irénée, paroisse de langue française fondée par le père Cyrille, et on y ajouta une salle de réunion, ce qui permit de rassembler une communauté de personnes de nationalités différentes. La salle de réunion donna une image concrète du Royaume, lieu où des personnes de toutes tendances et nations pouvaient se rencontrer comme membres de la famille divine unis en Christ. Afin que tous se sentent chez eux dans cette paroisse multiethnique, les icônes de l’iconostase furent peintes par des iconographes grecs alors que les fresques des murs étaient faites par des Russes.

Pasteur dévoué et attentif aux besoins de ses ouailles, le père Cyrille cherchait avant tout à inspirer ses paroissiens et les participants à ses nombreuses conférences et causeries à vivre pleinement leur foi dans la vie de tous les jours. C’est ainsi que ses nombreux écrits visent avant tout à rendre accessibles à tous les richesses de la foi, la théologie et la vie liturgique orthodoxes. Ainsi l’inculturation de l’Église orthodoxe dans le milieu français était une de ses préoccupations. Parmi ses engagements furent la " Catéchèse orthodoxe ", en particulier le livre Dieu est vivant (Cerf, 1979) dont il fut le principal maître d’œuvre, et la création de mouvements pan-orthodoxes, en l’occurrence la Jeunesse orthodoxe du Midi et la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale. Il était engagé tout au long de sa vie dans un dialogue fervent avec les catholiques et les protestants, tant au niveau local que national et international, et il joua un rôle important dans le Conseil œcuménique des Églises. Il était également engagé dans la radio des chrétiens à Marseille, Dialogue, la Cimade, organisme protestant d’aide sociale, et l’Association chrétienne – œcuménique – pour l’abolition de la torture (ACAT).

Pour le père Cyrille, chacun est responsable de vivre les sacrements reçus dans l’Église. L’infidélité à ces sacrements entraîne la disparition de l’Église. Souvient-toi d’où tu es tombé : repens-toi et accomplis les œuvres d’autrefois. Sinon je viens à toi, et, si tu ne te repens, j’ôterai ton chandelier de sa place (Ap. 2,5). Pour lui, il n’avait pas fini de devenir orthodoxe, il ne voulait jamais dire : c’est acquis. Il continua jusqu’à la fin de découvrir le sens profond d’une parole de l’Écriture ou de la liturgie. Quelques jours avant d’entrer dans le coma, il avait dicté un message disant que l’événement essentiel de l’existence humaine est le rencontre avec le Christ face à face.

Olivier Clément dit du père Cyrille Argenti qu’il était " un prêtre totalement au service de l’Église, ouvert et plein de joie, chaleureux envers tous ", " un homme évangélique ", " un apôtre de la philoxénia, l’hospitalité qu’il pratiquait généreusement à l’égard des étrangers et des immigrés ", qu’" il vivait pauvre parmi les pauvres, toujours disponible, allant partout où on le réclamait, épuisant son corps en voyages, en nuits sans sommeil, mais l’âme toujours sereine, une grande clarté dans le regard et le sourire ", " un mystique, d’une spiritualité sans rien de mièvre ou de piétiste, car elle était amour du Christ, intégration au Christ, imitation du Christ ".

Le père Cyrille Argenti s’endormit dans cette espérance et assurance le 21 novembre 1994 à l’hôpital Antoine Béclère à Clamart.

Sources : Cyrille Argenti, " Autobiographie spirituelle – La découverte de l’Église à travers ma propre vie ", et Olivier Clément, " Éloge d’un prophète, entre fidélité et liberté ", dans Cyrille Argenti, N’aie pas peur, Le Sel de la terre/Cerf, 2002 ; Élisabeth Behr-Sigel, Olivier Clément et Gérard Grange, " Le Père Cyrille Argenti, 1919-1994 ", Istina, Vol. 41, No 1, 1996.


QUELLE SPIRITUALITÉ

POUR DE JEUNES LAÏCS AUJOURD’HUI ?

par le père Cyrille Argenti

La " spiritualité ", étymologiquement, signifie l’activité de l’esprit. Pour un disciple de Jésus Christ ce mot n’a cependant pas le même sens que pour les adeptes des diverses "religions" et systèmes philosophiques ou moraux. La " spiritualité ", pour un chrétien, se réfère en effet non point tant à l’activité de l’esprit de l’homme qu’à celle du Saint Esprit. Elle ne constitue donc pas un aspect particulier de la vie, comme par exemple " l’intellectualité ", ou " l’affectivité " ou la " sexualité ". Il n’y a pas pour un chrétien un domaine propre de l’Esprit – comme il pourrait y avoir un domaine propre à l’intellect, au sentiment ou au sexe; un compartiment supérieur de la vie humaine qui se superposerait à des étages inférieurs. Nous sommes les disciples du Dieu fait chair, de l’" Oint " (Christ) de Dieu, c’est-à-dire de Celui qui, ayant reçu de toute éternité l’onction de l’Esprit Saint, imprègne, pénètre toute sa vie humaine, toute sa nature humaine – volonté, intelligence, cœur, âme et corps – de l’Esprit de Dieu, qui déverse ce même Esprit sur la personne toute entière, sur la vie toute entière de ceux qui croient en Lui et se joignent à Lui.

La spiritualité, pour un chrétien orthodoxe, est donc l’action du Saint Esprit qui éclaire, imprègne, transforme, vivifie les décisions, les pensées, les sentiments, les actes, les paroles, le comportement, l’âme, le corps, la vie quotidienne, les rêves même, d’un homme pour l’enraciner en Dieu. Et si Dieu devient la racine d’un homme, la sève de Dieu, c’est-à-dire le Saint Esprit, passe dans la plante toute entière, dans l’homme tout entier. Inversement, si l’Esprit divin passe dans un homme, Dieu devient sa racine. L’image est de saint Paul, qui nous dit que par le baptême nous devenons " une même plante " (sumphytoi) avec le Christ (Rm 6, 5), et nous invite à être " enracinés dans son amour " (Ép 3, 17).

Comment cela peut-il se réaliser pour nous aujourd’hui, concrètement, en particulier pour les jeunes et les laïcs ? Comment un homme ou une femme qui a grandi et vit dans une société sécularisée – où Dieu est plus ou moins ignoré, où l’incarnation du Verbe et la visitation du Saint Esprit sont perçues non comme des événements vécus mais comme du jargon théologique, où la pauvreté est synonyme d’échec et la virginité de niaiserie – peut-il accueillir le Saint Esprit, en avoir toute sa vie bouleversée, puis illuminée ?

La soif de Dieu

Il faut d’abord, c’est évident, avoir le désir de rencontrer Dieu. Or, toute l’éducation de nos contemporains les oriente vers les choses matérielles, vers la connaissance et la possession des objets. Le cœur et l’esprit sont formés, conditionnés pour s’intéresser au monde extérieur, aux créatures plutôt qu’au Créateur. La spiritualité chrétienne est fondée sur le mouvement inverse : se retourner vers l’intérieur pour chercher Dieu. Écoutons le Psalmiste :

Comme languit une biche après l’eau fraîche, ainsi languit mon âme vers toi, mon Dieu.
Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant ; quand irai-je voir la face de Dieu ? [Ps 42, 2-3]

Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche,
mon âme a soif de toi ;
après toi languit ma chair, terre sèche,
altérée, sans eau.
Je veux te contempler, voir la puissance de ta gloire. [Ps 63,2-3.]

Mon âme a soif de Dieu. C’est cette même soif de Dieu qu’exprime, dans le Cantique des cantiques, le cri d’amour et de désir de la Sulamite pour son amant et, à travers elle, de l’Église pour son Dieu [cf. Cantique, 3, 1-6 ; 6, 3]. Ce désir amoureux, cette soif de Dieu est le ressort de toute spiritualité chrétienne. Or, cette soif peut être étanchée, elle peut aboutir à une découverte.

La joie de la Bonne Nouvelle

Cette découverte, les apôtres de Jésus Christ l’ont faite. C’est pourquoi le lecteur attentif du Nouveau Testament y décèle un tressaillement d’allégresse. Il y a dans le cœur des apôtres une joie indicible qui fait vibrer leur voix. L’Évangile est vraiment pour eux la Bonne Nouvelle. Ils ont eu une révélation ; le royaume de Dieu – la perle infiniment précieuse, le trésor enfoui dans le champ n’est plus pour eux un rêve, une espérance utopique, mais une réalité découverte. Ils ont vu le Christ ressuscité, ils ont trouvé la vraie lumière, ils savent que le royaume de Dieu est en marche. […] L’évidence de la Bonne Nouvelle reçue, cette espérance certaine, cette allégresse profonde due à la découverte de la puissance et de l’amour de Dieu en Jésus Christ, comment pouvons-nous les retrouver ?

La société occidentale du temps de Saint Louis, la société byzantine au XIVe siècle – par toutes leurs institutions et coutumes, leurs modes de pensée et de vivre – introduisaient leurs membres dans l’Église. La société moderne, depuis des décades sinon des siècles, a cessé de véhiculer la foi chrétienne. Aujourd’hui, comme aux débuts du christianisme, on devient chrétien par une démarche personnelle, par une réponse personnelle à un appel de Jésus Christ. Au fond, il en a peut-être toujours été ainsi. Le point de départ de toute spiritualité chrétienne est une relation de personne à personne.

Relisons le premier chapitre de l’évangile selon saint Jean, versets 35-51. Jean Baptiste se trouve au bord du Jourdain. La veille, il a baptisé Jésus. André et Jean – le futur évangéliste qui nous raconte l’incident – sont à côté du Baptiste, dont ils sont disciples. Jésus vient à passer, le Baptiste s’écrie : " Voici l’Agneau de Dieu ! " Intrigués, les deux disciples se mettent à marcher derrière Jésus. Celui-ci se retourne : " Que cherchez-vous ? "

C’est la question qu’Il nous pose aujourd’hui, à nous qui doutons et cherchons. André et Jean Lui répondent : " Où demeures-tu ? " C’est aussi notre réponse, car c’est Lui que nous cherchons et voudrions trouver.

Jésus répond : " Venez voir. " Autrement dit : il ne suffit pas de chercher, il faut se jeter à l’eau. Car qui ne risque rien n’a rien. On n’aura pas de réponse en philosophant. Il faut un acte de confiance. Croyons au témoignage des apôtres, et allons-y.

C’est ce que font André et Jean : ils se mettent en chemin et, déjà le même soir, André va chercher son frère Simon en lui disant : " Nous avons trouvé le Messie. " […]

Sans être corporellement présent, Jésus nous voit, nous observe…. C’est la découverte, la foi un acte d’adhésion qui nous unit au Christ, nous greffe sur Lui. Alors l’Esprit de Dieu, qui repose sur le Christ, passe en nous et commence à nous transformer. Nous devenons une pierre vivante de la Jérusalem céleste. La vie spirituelle, la vie de l’Esprit Saint a commencé en nous. Nous sommes entrés dans la nouvelle création. Désormais, un choix s’impose.

Le choix

Le choix à faire est le suivant : soit nous demeurons complices de la société de consommation, soit nous vivons en Christ. Car on ne peut servir Dieu et Mammon.

Ainsi, nous pouvons organiser notre vie de famille, notre travail, nos loisirs, dans la perspective d’acheter et d’acquérir tout ce qui nous fait envie : la stéréo, la télé en couleurs, une Honda, une Porsche, les vacances aux Bermudes... Autant de choses qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, mais dont le désir angoissé nous rend prisonniers de tout l’engrenage de la société de consommation, dont le ressort est l’amour de l’argent. Alors nous entendons saint Paul nous dire : " Ceux qui veulent s’enrichir tombent dans le piège de la tentation, dans de multiples désirs insensés et pernicieux, qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. La racine de tous les maux, en effet, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y être livrés, certains se sont égarés loin de la foi et se sont transpercé l’âme de tourments multiples " (1 Tm 6, 9-10).

À l’inverse, nous pouvons " renoncer aux convoitises du temps de l’ignorance " (1 P 1, 14), pour ne désirer que ce qui est vraiment désirable et faire de la rencontre avec le Christ le but réel et concret de notre vie dans ce monde : " Il s’agit de le connaître, Lui, avec la puissance de sa résurrection et la communion à ses souffrances, de Lui devenir semblable dans sa mort, afin de parvenir si possible à la résurrection d’entre les morts. Non que je sois déjà au but ou que je sois devenu parfait, mais je m’élance pour tâcher de le saisir, parce que j’ai été saisi moi-même par Jésus Christ. Non, frères, je n’estime pas l’avoir déjà saisi. Mon seul souci : oubliant le chemin parcouru, et, tout tendu en avant, je m’élance vers le but, en vue du prix attaché à l’appel d’en haut que Dieu m’adresse en Jésus Christ " (Ph 3, 10-14).

C’est cela l’ascèse. Non pas une recherche morbide de la privation ou de la souffrance, mais la quête passionnée de la plénitude divine en Jésus Christ. Rien de créé n’est mauvais en soi, mais seul le Créateur est vraiment désirable. Et pour l’atteindre, il faut y mettre le prix. Et le prix, c’est de " renoncer aux convoitises du temps de l’ignorance " pour être comblé par le don de Dieu. Ce don n’est autre que le Saint Esprit, trésor de tout bien, donateur de vie, Dieu lui-même se donnant à nous. Nous avons peut-être commencé à prendre la résurrection du Christ au sérieux, mais il est temps, maintenant, de prendre au sérieux " l’acquisition du Saint Esprit ".

La révolution du Christ

Plus un chrétien s’intériorise pour chercher au fond de son cœur et à la racine de son être le Saint Esprit, plus il s’ouvre à l’amour de ses frères et sœurs. Plus il recherche la pauvreté et le dépouillement pour découvrir l’" unique nécessaire ", plus il se met à aimer les pauvres. Plus il cherche le Royaume de Dieu en lui-même, plus il découvre que celui-ci est le Royaume de tous – hé koinê Basileia – dont saint Jean Chrysostome salue l’avènement dans son homélie de la nuit pascale. Découvrir le royaume de Dieu en nous suscite le désir et la volonté d’étendre le règne de Dieu et sa justice dans le monde. Une spiritualité qui ignorerait l’injustice dans le monde serait une spiritualité de Tartuffe : " Si tu dis que tu aimes Dieu que tu ne vois pas, alors que tu n’aimes pas ton frère que tu vois, tu es un menteur " (1 Jn 4, 20).

Ne nous contentons donc pas d’une sorte de narcissisme spirituel, mais ouvrons les yeux avec lucidité sur ce qui se passe dans le monde. Sachons que dans les sociétés de consommation qui fleurissent actuellement en de nombreux pays, le bon peuple chrétien et beaucoup d’autres sont en train, avec une cruelle innocence, de dévorer le monde entier. Oui, le Prince de ce monde exerce son règne d’injustice sur le monde.

Le prophète Daniel voyait une grande pierre se détacher de la montagne sans l’aide de mains d’homme, et venir heurter la statue symbolisant tous les royaumes de ce monde. La statue volait en éclats, la pierre prenait sa place et, petit à petit, recouvrait toute la surface de la terre. Cette pierre, c’est le Christ. Cela signifie que le règne du Christ et de sa justice doit remplacer celui du Prince – et des princes – de ce monde. Comment pouvons-nous, comment devons-nous participer à cette révolution, comment " hâter " (2 P 3, 12) " la venue du Jour de Dieu " et le règne de sa justice ? Une spiritualité qui se veut chrétienne ne saurait éluder cette question. […]

Allons-nous pour autant nous contenter d’un piétisme individualiste cherchant seulement la conversion – ô combien nécessaire – de notre propre cœur, en nous désintéressant du règne de Dieu dans le monde, alors que le Seigneur nous a appris à prier " Que ton règne vienne sur la terre comme au ciel. "

Voyons donc ce qu’a fait le Christ lui-même. Il a délibérément renoncé à la triple et satanique tentation de posséder, de dominer et de se faire admirer. Il a renoncé à la richesse, au pouvoir et à la vaine gloire. Il s’est livré lui-même au dépouillement, à la mort, à la descente aux enfers : " Lui qui est de condition divine, Il s’est anéanti (ékénôsen eautôn), prenant la condition d’un esclave [...] Il s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix " (Ph 2, 6-8).

C’est ainsi que le Christ a libéré la puissance de Dieu, provisoirement occultée par les péchés des hommes et le règne du Malin. Cette puissance s’est manifestée glorieusement en le ressuscitant d’entre les morts ; elle " l’a souverainement exalté " (Ph 2, 9), inaugurant ainsi la nouvelle création, présence effective dans ce monde du Ressuscité puis de son Saint Esprit, semence vivante de liberté, de justice et d’amour. Ces fruits de l’Esprit Saint ne sont pas des idées abstraites, mais des énergies divines désormais à l’œuvre dans le monde. Chaque fois qu’elles se cristallisent dans la réalité quotidienne, elles constituent autant de signes de la sainte puissance de Dieu et annoncent le triomphe final du Royaume désormais en marche. La résurrection du Christ constitue le changement de pouvoir le plus radical de toute l’histoire.

Le Christ, cependant, ne veut pas " arriver sans nous à l’accomplissement final " (Hé 11, 40). Il nous invite à passer dans la nouvelle création, à entrer dès maintenant avec Lui dans le Royaume en marche, à nous associer à son œuvre, car nous sommes collaborateurs de Dieu " (1 Co 3, 9). Comment donc devons-nous faire ? 

La participation de l’homme

Comment ouvrir la voie à l’intervention divine, à l’irruption du Saint Esprit dans les situations d’injustice ? Plusieurs attitudes sont requises et possibles : renoncer à la soif du gain, ressort empoisonné de toute notre société de consommation ; dire non à la volonté de puissance, source de toutes les tyrannies ; arrêter de vivre pour soi-même ; cesser de compter sur le jeu des forces de ce monde, par un acte de confiance totale en la puissance bonne de Dieu : tant que nous fonctionnons sur les rapports de forces, nous nous laissons prendre dans l’engrenage du Prince de ce monde, de Satan qui manipule tous ceux qui, par le désir de la richesse, la soif du plaisir ou l’ambition de faire carrière, se livrent à son pouvoir de mort.

Il nous faut, au contraire, renoncer à " placer notre foi dans les puissants de ce monde " (Ps 146, 3), à miser sur le pouvoir de l’argent, de la force militaire, de l’intrigue politique. Lorsque nous acceptons ainsi d’entrer dans la tombe du Christ – c’est le vrai sens du baptême -, lorsque nous plaçons effectivement toute notre espérance et toute notre confiance dans la seule force de Celui qui a ressuscité le Christ d’entre les morts – c’est la foi -, alors la puissance libératrice du Christ ressuscité s’engouffre au sein des événements qui forment le tissu de notre existence quotidienne, change le cours de ces événements et rend manifeste non seulement dans nos vies, mais dans le monde, la création nouvelle en y plantant des signes du Royaume qui vient.

Une telle spiritualité – qui est confiance dans l’œuvre merveilleuse de l’Esprit Saint – dépasse le cadre de la piété personnelle, car elle découvre aux yeux de nos frères et sœurs l’action et la présence de Dieu dans le monde : " Ainsi doit briller votre lumière aux yeux des hommes, pour que, voyant vos bonnes œuvres, ils en rendent gloire à votre Père qui est dans les cieux " (Mt 5, 16). […]

L’épiclèse communautaire

Lorsque cet acte de confiance et de foi, cette offrande que l’homme fait à Dieu de lui-même selon la parole de l’Apôtre : " Je vous exhorte, frères, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu " (Rm 12, 1) n’est pas seulement un acte personnel, lorsqu’une communauté entière – se dépouillant de toute ambition tribale – s’offre à Dieu dans l’attente confiante de la descente du Saint Esprit et de la manifestation de la sainte puissance de Dieu dans sa vie, cela s’appelle Divine liturgie.

La liturgie eucharistique n’est pas, en effet, comme voudraient nous le faire croire ceux " qui gardent les apparences de la piété mais en ont renié la puissance " (2 Tm 3, 5), un spectacle " sacré " ou un concert " spirituel " pour esthètes initiés. Elle est un acte audacieux d’hommes et de femmes qui, croyant à la valeur unique de l’offrande que le Christ a faite de Lui-même à son Père (Ep 5, 2), ayant foi dans l’admirable puissance de l’Esprit Saint qui l’a ressuscité (1 P 3, 18) et confiants dans la justice infinie du règne de Dieu ainsi inauguré, remercient Dieu de cette offrande, en font eucharistie et s’y associent en se confiant " eux-mêmes, les uns les autres et toute leur vie " au Christ Dieu. Ils sont alors tout tendus dans l’attente de la descente du Saint Esprit, qui transformera leur communauté tout entière – avec le pain et le vin qu’ils reçoivent – en espace de liberté, de justice et d’amour, en signe vivant du royaume de Dieu en marche.

Faisons dès maintenant cet acte de foi. Renonçons à toutes nos convoitises, déposons sur l’autel de Dieu – avec notre offrande de pain et de vin – toute notre espérance, tous nos désirs, toutes nos ambitions, tout ce que nous sommes et voulons être. Et, par une épiclèse, communautaire, accueillons la puissance d’En haut, l’Esprit Saint qui visite ceux qui adhèrent au Christ. Nous verrons alors Dieu à l’œuvre parmi nous. Ne serait-ce pas cela, la spiritualité orthodoxe ?

Extrait de Cyrille Argenti, N’aie pas peur,
Le Sel de la terre/Cerf, 2002.


VIVRE EN CHRETIEN ET PRIER

DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI

par le père Cyrille Argenti

Le monde d’aujourd’hui

Qu’est-ce qui caractérise le monde d’aujourd’hui et en quoi diffère-t-il du monde d’hier? Dès le VIe siècle, marqué par l’empire de Justinien à Byzance et le règne de Clovis en Gaule, les pays situés dans un arc de cercle s’étendant de l’Arménie à l’Irlande vivaient en chrétienté. Le christianisme était la religion reconnue par l’État et acceptée, au moins théoriquement, par la majorité de la population. Du VIIe au XIVe siècle, cet état des choses se développa dans l’ensemble de l’Europe où il subsista jusqu’à la fin du XXe siècle. De la Grèce à la Scandinavie, l’Église et l’État institutionnalisèrent leurs rapports. Les évêques couronnaient les rois ou les empereurs. La définition du bien et du mal était donnée par l’Évangile, ce qui ne signifiait pas que l’on optait toujours pour le bien ! En effet, même si les principes de la morale chrétienne étaient acceptés comme normatifs, ils n’étaient pas forcément appliqués par les gouvernements et l’ensemble de la population.

Depuis la fin du XIXe siècle, cette situation s’est transformée. D’abord, le développement – rapide et important – des sciences et des techniques a transformé les consciences. Éblouis ainsi par les découvertes scientifiques et les nouvelles technologies, nombreux sont ceux qui se sont imaginés que la science pouvait résoudre tous les problèmes de l’humanité. Il faudra deux guerres mondiales pour que l’on perde les illusions du scientisme et prenne conscience de l’ambiguïté du progrès, qui fournit des outils prodigieux tant au mal qu’au bien, permettant de produire à la fois la bombe atomique et des vaccins. Pendant ce temps, la science a détrôné la foi dans des milliers de consciences. […]

L’évolution des mœurs a entraîné un bouleversement du couple et de la famille ; elle a discrédité le mariage et s’est manifestée par une augmentation des divorces et des naissances extraconjugales. Face à tant d’échecs, beaucoup de jeunes ne veulent plus contracter d’engagements. Ils tombent dans une sorte de désillusion, aggravée par l’apparition du sida qui, à cause de sa transmission sexuelle, a répandu l’idée de " l’amour qui tue ".

Bref, nous vivons dans une société qui a perdu ses repères. Une société désorientée et déboussolée, qui accueille avidement aussi bien des idées issues du bouddhisme ou de l’hindouisme – comme la théorie de la réincarnation – que des doctrines ésotériques ou des pratiques proposées par des sectes venues des États-Unis (Mormons, Témoins de Jéhovah, etc.), ou encore les enseignements fantaisistes des Évangiles apocryphes.

Tout cela se mêle à des bribes de foi chrétienne de façon confuse et incohérente, et donne naissance à une forme de " syncrétisme " rappelant étrangement celui qui régnait au IIe siècle de notre ère, au temps du " gnosticisme " combattu si énergiquement par saint Irénée. Mais à cette époque, le langage chrétien – tout neuf – avait un impact que les mêmes mots, répétés et entendus pendant des siècles, ont perdu. De nos jours, que l’on peut qualifier de " post-chrétiens ", le vocabulaire chrétien est usé. Inventer un langage qui soit actuel et capable d’exprimer les vérités éternelles est l’une des difficultés de l’évangélisation aujourd’hui.

Confesser la foi en Christ ressuscité

Comment, dans un tel monde, un chrétien – qui plus est, orthodoxe – devrait-il exprimer sa foi dans la vie quotidienne ? La tentation des chrétiens aujourd’hui est d’affadir, affaiblir, atténuer le message du Christ pour ne pas choquer le monde. On pratique un christianisme honteux. On n’ose pas affirmer la virginité de Marie pour ne pas paraître ridicule. On n’ose pas proclamer que le Christ est ressuscité avec un vrai corps de " chair et d’os " pour ne pas donner l’impression qu’on croit à des mythes. On n’ose pas proclamer le Dieu Un en trois Personnes pour ne pas heurter la raison.

Dès lors, on parle du Seigneur Jésus comme s’Il n’était qu’un homme, un grand initié ou le plus grand des prophètes. On réduit la Bonne Nouvelle, selon laquelle Dieu a visité les hommes, à un message moralisateur, à une série de commandements et d’interdits. Bref, on fait perdre au sel sa saveur ; avec quoi, alors, la lui rendra-t-on ?

Vivre en chrétien aujourd’hui, c’est vivre de la Bonne Nouvelle dans toute son intégralité stupéfiante. C’est confesser que le corps du Ressuscité, qui porte encore les marques des clous et de la lance, donne naissance à une nouvelle création sur laquelle la mort n’a plus de prise. C’est découvrir chaque jour que Jésus de Nazareth, le Crucifié, est vraiment vivant parce que réellement ressuscité. Alors, nous ne sommes plus esclaves de la peur de la mort. En présence d’un défunt, nous chantons le tropaire de Pâques " Le Christ est ressuscité des morts, par la mort Il a vaincu la mort. " Le désespoir de l’incroyant à la place de la tranquille espérance du fidèle, qui s’écrie : " Fais reposer, ô Christ, celui que tu as choisi pour contempler la lumière de ta Face, dans la douceur de ta beauté. "

Ainsi, la Résurrection est le fondement de notre foi, mais en sommes-nous intimement, réellement convaincus ? Reposons-nous la question devant Dieu ; réexaminons-la en y consacrant toute la réflexion, le temps et l’étude nécessaires. Seul face à Dieu, seul dans le secret de ma conscience, je dois me demander : " Suis-je intimement convaincu que le Christ est réellement ressuscité dans son corps glorieux, dans sa chair transfigurée ? "

Dans le Credo – qui nous récitons chaque dimanche au cours de la Divine liturgie – nous professons également que le Christ est " le Fils unique de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait ". Par là, nous proclamons qu’Il est le Créateur, qu’Il est Dieu comme son Père, qu’Il est le même Dieu que le Père et le Saint Esprit. Cette foi est la pierre sur laquelle est bâtie l’Église. […] Parce que nous croyons vraiment à l’entrée dans la chair de " l’Un de la Sainte Trinité ", la déification de notre chair est le but de notre vie. C’est donc toute notre existence dans la chair, c’est-à-dire toute notre vie quotidienne et réelle, que nous voudrions voir imprégnée du Saint Esprit. C’est pourquoi nous mettons une icône au centre de notre foyer et au-dessus du lit conjugal. Le lien personnel avec le Seigneur se développe et se précise dans la contemplation des saintes icônes, qui instaurent un face-à-Face entre le chrétien orthodoxe et le Christ. Les icônes reflètent également l’expérience des témoins fidèles du Christ, prophètes, apôtres, martyrs, tous nos Pères dans la foi. Plus nous nous familiarisons avec eux, à travers leur icône, leur vie et leurs écrits, plus nous retrouvons le chemin qui mène au Maître qui nous est commun. L’icône est là pour que le Dieu fait homme soit présent à chaque instant du jour et de la nuit, pour que le Christ nous regarde vivre et que nous nous sentions vivre sous le regard sanctifiant de Dieu.

Mais lorsque nous communions le dimanche, sommes-nous vraiment conscients de " manger la chair " du Ressuscité, du Dieu fait chair, et de " boire son sang " ? Lorsque nous plaçons l’icône du Christ dans notre maison, exprimons-nous vraiment notre foi qu’en entrant dans la chair des hommes, Dieu le Fils entre dans notre vie réelle, quotidienne, charnelle ? Lorsque, à la Théophanie, nous prenons de l’eau bénite en fêtant le baptême de Jésus dans les eaux du Jourdain, pensons-nous vraiment que l’Esprit Saint, en sanctifiant les eaux, sanctifie la matière et renouvelle toute la création ? Bref, par chacun de ces actes, exprimons-nous concrètement dans notre vie quotidienne notre foi en l’Incarnation du Verbe divin ? […]

Il est très important de prier la Sainte Trinité. Dieu ayant créé l’homme à son image, c’est-à-dire à l’image de la Trinité, les hommes ne sont ni des individus isolés ni une collectivité grégaire, mais des personnes distinctes qui n’existent qu’en relation les unes avec les autres, recherchant dans l’amour l’unité de l’être et dans le respect de l’autre la diversité irremplaçable de chacun. La Trinité est donc le modèle des relations conjugales, des rapports sociaux, des structures ecclésiales. Vivre en chrétien dans une société, c’est avoir sans cesse ce modèle trinitaire en vue, grâce auquel la personnalité irremplaçable de chacun s’épanouit selon sa vocation particulière, en pleine liberté, dans une communion d’amour. Certes, nous sommes assez réalistes pour ne point ignorer le poids des égoïsmes – le nôtre y compris -, le pouvoir du Diviseur (Diabolos) et la loi de la jungle qui régit la société. Mais le modèle trinitaire – qui constitue " le programme social du chrétien " – aimante notre vie, fournit la dynamique permanente qui nous transforme petit à petit et donne un sens à toutes nos activités au sein de notre famille, de notre milieu social, de notre Église. Question : le modèle trinitaire inspire-t-il effectivement la qualité de nos relations humaines ?

Nous affirmons, selon l’évangile de Jean, que le Saint Esprit " procède du Père " et que le Christ nous l’envoie (Jn 15, 26). Nous invoquons sa descente " sur nous " et sur les " saints dons " au cours de la liturgie. Nous proclamons, avec saint Séraphin de Sarov, que " le but de la vie, c’est l’acquisition du Saint Esprit ". Mais en va-t-il ainsi ? Cette acquisition est-elle vraiment le but de notre vie ? Prenons-nous la Pentecôte au sérieux autant que la Résurrection? Quelle place tient le Saint Esprit dans notre existence ? Commençons-nous chaque journée en demandant directement le renouvellement du don de l’Esprit Saint : " Roi céleste, Consolateur, Esprit de vérité, toi qui es partout présent et qui remplis tout, Trésor de tout bien et Donateur de vie, viens et demeure en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, toi qui es bonté ? " D’une façon plus générale, prenons-nous au sérieux " l’opération du Saint Esprit " pour diriger notre vie et y intervenir à chaque instant ? Comptons-nous sur nous-mêmes et sur notre propre volonté, malade et pécheresse, ou sur Lui, le Saint Esprit, pour " visiter et guérir nos infirmités " ? Supplions-nous le Christ avec foi lorsque nous prenons conscience de nos défauts, de notre péché, de nos déchéances, de nous envoyer son Saint Esprit pour nous purifier, nous libérer, nous guérir, nous changer, nous transformer, faire de nous des créatures nouvelles ? […]

Incarnation du Verbe, résurrection du Christ, Pentecôte de l’Esprit et révélation de la Trinité, sont les moteurs de la vie d’un chrétien orthodoxe. Ces mêmes événements vont aussi inspirer sa prière.

Prière personnelle

Être chrétien, c’est faire confiance à l’intervention efficace de l’Esprit de Dieu dans notre vie et sur notre personne, pour les transformer à l’image de la vie et de la personne du Dieu-Homme. C’est donc trouver quotidiennement le temps de prier Dieu au nom du Seigneur Jésus pour que l’Esprit, qui repose sur Lui, soit répandu sur nous ; c’est chercher dans ce contact avec l’Esprit du Christ la source d’énergie qui va orienter notre personnalité et donner un sens à notre vie.

Mais qu’est-ce que prier ? D’abord, ce n’est pas réciter des prières – cela, un magnétophone peut le faire mieux que nous. Pour prier, il faut d’abord se mettre face au Dieu vivant, c’est-à-dire face à l’icône du Christ. Le Dieu vivant est venu vers nous, Il a pris le visage d’un homme : celui du Christ. À travers son icône, Celui-ci nous regarde. Il est en effet toujours représenté de face ; son regard rencontre le nôtre. Ce Face-à-face, de Personne à personne, est le début de la prière.

Mais " nous ne savons pas prier comme il faut ", et " l’Esprit vient au secours de notre faiblesse [...] Il intercède pour nous en gémissements ineffables ", dit saint Paul (Rm 8, 26). C’est pourquoi il convient de commencer toute prière, mais aussi toute entreprise, toute journée, par une invocation au Saint Esprit. Saint Basile, dans son Traité du Saint Esprit, écrit que " c’est le Saint Esprit qui éclaire le visage du Christ qui, Lui, nous fait connaître le Père ". L’invocation au Saint esprit nous conduit donc vers une prière trinitaire. Prier, c’est aller à la rencontre des deux " mains " que nous tend le Père : le Fils qui est venu vers nous en se faisant homme et en nous parlant avec une bouche d’homme, et l’Esprit qui est descendu sur chacun de nous, rassemblés en Église, sous forme de langues de feu, le jour de la Pentecôte. Prier, c’est donc écouter la Parole du Fils et invoquer la présence de l’Esprit. C’est acquérir l’Esprit pour rencontrer le Fils et connaître le Père. […]

Orthodoxie et orthopraxie

Mais notre vie quotidienne est-elle bien le reflet de la " théologie " que nous prétendons professer et de notre piété ? Nous croyons que Jésus de Nazareth est le Christ, le Fils du Dieu vivant, et cependant dans notre vie quotidienne – en famille, sur notre lieu de travail, pendant nos loisirs, dans nos relations affectives – notre façon de nous comporter souvent ne diffère pas fondamentalement de celle de notre entourage, de nos voisins ou collègues qui sont, pour la plupart, incroyants ou indifférents à la Personne du Christ.

Comment notre foi peut-elle, doit-elle modifier notre comportement familial et social ? Qu’est-ce qui distingue notre façon de vivre de celle des non-croyants ? Comment témoigner du Christ ressuscité dans notre vie de tous les jours ?

Pour de nombreuses personnes qui se disent chrétiens, la difficulté à résoudre ce problème les a amenés à l’esquiver en cloisonnant leur vie. D’une part, ils " pratiquent la religion ", par leur présence et leur participation aux offices de l’Église – " ils vont à la messe " -, voire par une prière personnelle à domicile. D’autre part, ils vivent en société de la même façon que tous les autres gens. Leur " vie religieuse " et leur vie dans le monde profane ne communiquent pas, ne se répercutent pas l’une sur l’autre. À tel point que "l’État laïc " a pu qualifier les Églises " d’associations cultuelles ". Limitée ainsi au " culte ", la religion devient une " affaire privée ", sans incidence sur la vie sociale.

Ce problème n’est en réalité pas vraiment nouveau. Ce fut déjà, en effet, l’attitude des gens " religieux " en Israël, suscitant l’indignation des prophètes de Dieu:

Je hais, je méprise vos fêtes, pour vos solennités je n’ai que dégoût [...] Vos oblations, je ne les agrée pas. Éloigne de moi le bruit de tes cantiques [...] mais que le droit coule comme l’eau, et la justice comme un torrent qui ne tarit pas. [Am 5, 21-24. Cf. aussi Is 1, 11-19.]

Bref, Dieu n’agrée prières et cantiques que s’ils débouchent sur un comportement de justice dans la vie sociale. Un culte qui ne transforme pas notre vie n’est qu’hypocrisie. Une vie liturgique qui ne se prolonge pas par ce que saint Jean Chrysostome appelle le " sacrement du frère ", n’est pas chrétienne, mais de la " religion païenne ", de la religiosité. C’est pourquoi le Christ a dit, en reliant deux phrases de l’Ancien Testament : " Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme et de tout ton esprit, et ton prochain comme toi-même. Fais cela et tu vivras. " Adorer Dieu et servir le frère ne font qu’un ; cloisonner le culte et 1a vie quotidienne, c’est du paganisme.

" Ce n’est pas celui qui dit: "Seigneur ! Seigneur!", mais celui qui fait la volonté de mon Père qui entrera dans le royaume de Dieu " (Mt 7, 21). Il ne s’agit pas seulement de découvrir et confesser la vérité, il faut aussi, comme le dit le Christ dans l’évangile de saint Jean, " faire la vérité" (Jn 3, 21). Sans cela, toute notre vie de foi, de prière, de communion n’est qu’apparence, mensonge, hypocrisie et pharisaïsme. L’orthodoxie est la croyance droite, la glorification droite. Mais il n’y a pas d’orthodoxie sans action droite, sans orthopraxie.

Ainsi, croire et rendre gloire à Dieu selon la tradition orthodoxe exigent également une façon de vivre, une façon d’agir. Ce mode d’être, ce comportement a été décrit par le Christ dans le sermon sur la montagne (Mt 5-7). Il repose sur un principe fondamental : l’homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.

L’amour évangélique au quotidien

Tout ce mode d’être, toute la foi que nous exprimons dans notre vie religieuse doit donc s'incarner dans notre vie quotidienne, que ce soit en famille, au travail, dans nos loisirs ou notre vie affective. Le principe fondamental de cette pratique est très simple : Dieu a créé l’homme – tout homme – à son image et à sa ressemblance, c’est-à-dire comme une personne qui n’existe vraiment qu’en communion d’amour avec les autres, et non comme un individu – entité enfermée dans la cage de son égoïsme – ou un numéro anonyme dans une collectivité grégaire. Si donc nous adorons Dieu, nous l’honorerons en respectant son image, c’est-à-dire en traitant tout être humain – ami ou ennemi, sympathique ou antipathique, collaborateur ou adversaire – comme un frère que le Christ a tant aimé qu’Il a donné sa vie pour lui. Tout homme ou femme est donc une personne au salut de laquelle, dans la mesure de nos moyens – ne fusse que par un sourire – nous devons contribuer. Si nous devons aller visiter un assassin en prison – " J’étais en prison et vous m’avez rendu visite " (Mt 25, 36) – combien plus devons-nous nous intéresser au bonheur et au progrès d’un rival ou d’un adversaire... Car lui aussi a été créé en vue de sa déification ultime.

En famille, au travail et à l’église, nous chercherons donc sans cesse à communiquer avec l’autre dans le respect de sa personnalité. Non pour l’assujettir, l’accaparer ou l’agréger à un groupe en l’assimilant, mais pour l’aimer tel qu’il est, ou plutôt tel que Dieu l’appelle à devenir. Cela pour qu’il puisse réaliser pleinement le dessein du Créateur envers lui, par l’épanouissement de ses dons propres au service de la communauté au sein de laquelle il vit.

En famille : si l’on est chrétien, aimer un parent, un enfant, un époux, une épouse, un frère, une sœur, ce n’est pas chercher à le posséder, le dominer, en tirer du profit ou le vouloir pour soi. C’est désirer son libre épanouissement, chercher ce qu’on peut lui donner – " Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir " (Ac 20, 35) – pour le soutenir, pour l’aider à devenir meilleur, à réaliser ses projets et non pas ceux que nous voudrions lui imposer, pour le consoler, lui apporter le maximum de joie, pour qu’il se sente aimé. Aimer vraiment n’a rien à voir avec de la sentimentalité ; c’est désirer et favoriser la déification de l’autre, puisque c’est pour cela qu’il a été créé. En ce sens, il ne faut surtout pas oublier d’apporter les prénoms des membres de notre famille – vivants ou décédés – au début de la Divine liturgie, afin que par celle-ci le Saint Esprit rayonne sur eux pendant toute la semaine. Les dyptiques (liste des noms que l’on commémore, répartis sur deux colonnes, l’une pour les vivants et l’autre pour les morts), c’est le lien entre la liturgie et toute personne que nous aimons ou devrions aimer.

Dans la vie professionnelle : travailler, pour un chrétien, c’est faire passer un reflet du Royaume dans la réalité terrestre et la matière de ce monde. C’est mettre un peu de beauté dans la vie. Que l’on soit plombier ou balayeur de rue il s’agit d’embellir le monde. Un maçon chrétien est, à sa manière, un iconographe. Si l’Évangile nous a donné une certaine vision du royaume de Dieu, nous essayons, par notre travail, d’en projeter l’empreinte dans le domaine où s’exerce notre activité. Cela peut être l’ambiance qu’une infirmière cherche à faire régner dans son service, la beauté que le menuisier donne au meuble qu’il fabrique, la petite note de chaleur humaine qu’une secrétaire essaye de faire résonner dans son bureau... Dans tout travail, le chrétien peut introduire un petit rayon de lumière, un petit coin de ciel. Il suffit pour cela qu’à la liturgie du dimanche, il écoute avec attention la lecture de l’épître et de l’Évangile, qu’il se demande ensuite comment mettre en pratique la parole entendue. Si la Parole de Dieu touche notre cœur, elle changera notre vie et transformera notre façon de travailler. Les paraboles du Christ et tous ses enseignements sont toujours très proches de la vie quotidienne.

Tout compagnon de travail et collègue – subordonné ou supérieur – n’est jamais un numéro ou un robot, mais une personne que Dieu veut sauver. Elle doit nous intéresser ; nous devons chercher à établir avec elle un contact humain, découvrir ses soucis, ses aspirations, échanger un sourire. Même offrir une cigarette est déjà une approche, une antenne tendue vers l’autre. Efforçons-nous à chaque occasion de briser la glace, ôter le masque, dépasser la sécheresse du langage professionnel, atteindre le cœur d’un inconnu, rendre un petit service à celui ou celle qui nous a fait une vacherie, dire un mot gentil à celui qui a été abrupt ou blessant, contenir nos impatiences, dominer notre mauvaise humeur, avoir la paix dans notre cœur et la faire régner autour de nous.

Si nous avons communié la veille, souvenons-nous que nous sommes porteurs du Christ dans notre lieu de travail. S’Il est présent dans notre cœur, inconsciemment cette présence rayonnera autour de nous. Car participer à l’eucharistie, c’est permettre à Dieu de créer entre les hommes le lien le plus profond qui soit, au niveau même de l’être. Ce lien peut ensuite, petit à petit, émerger au niveau de la conscience et des rapports quotidiens.

Ce qui compte, finalement, c’est moins ce que nous faisons ou disons que ce que nous sommes. Le bon arbre ne peut que porter de bons fruits. Soyons souriants et joyeux parce que le Christ est ressuscité, pacifiés et pacifiant parce que nous sommes pardonnés et réconciliés. En revanche, si je suis grincheux, tourmenté, hargneux, agressif, jouant le jeu de la jungle qui m’entoure, comment pourrais-je être témoin du Christ ?

Dans nos loisirs et notre vie affective : pour pouvoir bien ou mieux accomplir sa tâche, il est nécessaire de se détendre. Il s’agit ici non pas de chercher à cueillir du plaisir en se servant des autres, mais à voir dans l’amitié et l’amour ce que nous pouvons donner. Le chrétien veut toujours voir dans l’autre une personne, une fin en soi, jamais un moyen. Dans nos loisirs, recherchons donc le contact humain et non le plaisir, la richesse personnelle qui se cache dans l’autre et non les sensations. La recherche de sensations déshumanise l’homme.

Le Seigneur vient !

Aimer l’autre donc, mais non point aimer l’amour. Sortir de soi, aider l’autre, le vouloir meilleur tout en l’acceptant tel qu’il est. En fin de compte, aimer vraiment quelqu’un, c’est vouloir son bonheur éternel, c’est-à-dire sa déification.

Vivre en chrétien, c’est prendre le risque magnifique de faire non pas ce dont nous avons envie, ni ce que la société ou l’entourage nous incite à faire, mais ce que la Parole de Dieu nous prescrit.

Tout cela n’est pas de l’utopie, parce que nous croyons que le Christ a envoyé l’Esprit – qui procède du Père – sur son Église et sur chacun de ses disciples le jour de la Pentecôte, et que ce même Esprit, invoqué quotidiennement, peut changer notre cœur de pierre en cœur de chair, transformer comme une source d’eau vive un désert en oasis, un truand en saint et, pourquoi pas, nous-mêmes en serviteurs de Dieu.

Le temps des " chrétiens sociologiques ", c’est-à-dire de ceux qui étaient chrétiens parce que les structures sociales l’exigeaient, est passé. Le temps des tièdes, que le Christ " vomira de sa bouche " (Ap 3, 16), est révolu. Dans une société de plus en plus païenne, soyons de plus en plus des chrétiens orthodoxes, c’est-à-dire des disciples de plus en plus authentiques du Dieu fait homme, par toute notre manière de vivre et toute notre façon de prier.

Les chrétiens deviendront alors ce qu’ils sont appelés à être : la lumière du monde d’aujourd’hui, tout comme ils furent celle du monde de l’époque de Néron ou de Dioclétien. Le Seigneur vient !

Extrait de Cyrille Argenti, N’aie pas peur,
Le Sel de la terre/Cerf, 2002.


À QUOI BON L’ÉGLISE ?

par le père Cyrille Argenti

" Je suis croyant, mais pas pratiquant. " Ou encore : " Je crois en Dieu, je crois au Christ, mais en l’Église, non. " Voilà les phrases que répètent des dizaines de milliers de jeunes gens aujourd’hui. Voilà pourquoi tant de personnes qui se disent " croyantes " et qui même souvent ont été baptisées – notamment dans l’Église orthodoxe – ne " vont pas à l’Eglise " et déclarent ne pas être " pratiquantes ". Mais quelle est donc cette " croyance " que l’on ne met pas en pratique ? Quel est donc ce Dieu auquel on croit mais que l’on ne cherche pas à rencontrer ? Qui est donc ce Christ que l’on admire et auquel on ne désire pas s’unir? Quelle est donc cette Église en dehors de laquelle on se tient ?

Dieu est tout ou Il n’est pas

" Je crois qu’il y a quelque chose au-dessus de nous ", " j’admire et je respecte le Christ "... C’est vrai, ces gens-là ne sont pas athées. Ils sentent confusément que Dieu existe, ils trouvent que Jésus est une personne admirable, mais ils ne cherchent pas trop à approfondir le rapport entre l’une et l’autre. Cette croyance et cette admiration ne les engagent pas ; ils ne se mouillent pas. Elles leur inspirent juste quelques bons sentiments : ils ne voudraient faire de mal à personne, ils n’aiment pas la violence, ils sont tout prêts à rendre service ; au fond, ils sont très gentils. On leur a tellement parlé du " bon Dieu " et du " petit Jésus "... On a omis de leur rappeler, comme le fait l’épître aux Hébreux évoquant Moïse, que " Dieu est un feu dévorant " (Hé 12, 29), que le Christ a dit : " C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre " (Lc 12, 49), et encore : " Celui qui aime son père ou sa mère, son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi " (Mt 10, 37) ; " Ce sont les violents qui s’emparent du royaume de Dieu " (Mt 11, 12) ; " N’allez pas croire que je suis venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix mais bien le glaive ; je suis venu séparer le fils de son père, la fille de sa mère " (Mt 10, 34-35). Enfin : " Les tièdes, je les vomirai de ma bouche " (Ap 3, 16). […]

Face au Christ, on prend position : on l’adore ou on le crucifie. Il est ou la pierre d’angle ou la pierre d’achoppement. Si l’on croit en Lui, on se joint à Lui ; si l’on croit qu’Il est le Créateur, l’alpha et l’oméga, le début et la fin, on lui donne tout : la rencontre avec le Ressuscité devient le but primordial de la vie. La liturgie du dimanche matin, l’union spirituelle et chamelle avec le corps et le sang du Christ dans la communion, devient alors le moment crucial de la semaine.

Dieu est tout ou Il n’est pas. Il ne peut être un élément, un aspect, une partie de la vie. Ou alors, Il ne serait pas Dieu. Si l’on croit en Lui, on s’engage pour Lui. Et si l’on croit que le Christ est Dieu, qu’Il est vraiment ressuscité des morts, qu’Il est présent dans l’assemblée eucharistique, qu’Il y vient nous rencontrer, pour nous transformer, nous guérir, nous délivrer de l’emprise de la mort, nous introduire dans l’intimité de la vie du Dieu trinitaire, alors comment peut-on ne pas pratiquer ? Si quelqu’un te fixe un rendez-vous pour te donner un milliard de francs et que tu le crois, n’iras-tu pas à ce rendez-vous ? Le Christ te promet bien plus : le Saint Esprit, c’est-à-dire Dieu lui-même : " Si donc vous qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père céleste donnera-t-Il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent " (Lc 11, 13). Il te donne pour cela rendez-vous à la liturgie eucharistique. Peux-tu le croire et ne pas aller au rendez-vous ? Peux-tu être sincèrement croyant et ne pas être pratiquant ?

Dieu avec nous

Le fait que tant de gens disent ne pas croire en l’Église et ne pas être " pratiquants " révèle sans doute un malentendu fondamental sur le sens du mot " Église " et la réalité qu’il exprime. L’Église, pour le Français moyen, évoque la papauté, l’épiscopat, le clergé, " les curés ", l’ensemble de l’organisation ecclésiastique, en un mot l’institution telle qu’historiens et sociologues peuvent la décrire, telle que l’incroyant peut la connaître aussi bien que le croyant. C’est cette institution, avec ses fastes et ses crimes, que la Réforme protestante a rejetée, développant une conception plus individualiste et intériorisée de la vie chrétienne. Celle-ci se situerait exclusivement au niveau de la conscience personnelle : " Entre Dieu et moi, aucune médiation autre que celle du Christ, unique médiateur, n’est acceptable. " Les faiblesses et les défaillances de l’Église-institution ont contribué à donner une large audience à ce point de vue, non seulement en milieu catholique romain mais aussi parmi les orthodoxes, souvent plus imprégnés d’une conception romaine ou protestante que d’un sens vraiment orthodoxe de l’Église.

Il convient donc, d’une manière urgente, de redécouvrir le vrai sens de l’Église. Pour cela, écoutons le grand prophète Isaïe, cité dans le cantique que nous chantons à l’occasion de chaque mariage comme de chaque ordination diaconale, sacerdotale ou épiscopale : " Isaïe danse de joie, la Vierge enfante, elle a mis au monde un Fils, Emmanuel. " Emmanuel, en hébreu, signifie " Dieu avec nous. " Tel est le nom donné à Jésus. Le Christ, c’est " Dieu avec nous ". Et " Dieu avec nous ", c’est l’Église. Non pas Dieu avec moi, mais Dieu avec nous.

Depuis qu’Il s’est fait homme en naissant de la Vierge Marie, Dieu est avec nous : " Là ou deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis parmi eux " (Mt 18, 20). Le Crucifié-Ressuscité est vivant ; Il continue d’être avec nous. L’Église est cette présence du Ressuscité au milieu de ses fidèles, ou plutôt ce rassemblement autour de Lui de ses fidèles, qui lui sont agrégés, qui forment corps avec Lui, qui sont son Corps, Lui étant la tête. C’est cette unité mystérieuse – que le Saint Esprit réalise entre le Christ et ses fidèles – qui fait l’Église : " Je suis la vigne, vous êtes les sarments " (Jn 15, 5). Et encore : " Telles des pierres vivantes vous deviendrez, vous aussi, des matériaux de cette bâtisse spirituelle " (1 P 2, 4). Nous sommes les branches d’une vigne dont le Christ est le tronc ; les membres d’un Corps dont le Christ est la tête, les pierres vivantes d’une bâtisse spirituelle qui repose sur l’unique " pierre d’angle " (1 P 2, 7). Par le baptême, nous dit saint Paul, " nous sommes devenus une seule plante avec Lui " (Rm 6, 5) ; par la communion eucharistique, nous devenons un seul corps avec Lui : " Qui mange ma chair et boit mon sang, je demeure en lui et lui en moi " (Jn 6, 56). Tel est le miracle qu’opère le Saint Esprit. Mais si nous ne croyons pas au Saint Esprit, nous ne croyons pas en l’Église.

Présence de la Parole

Le Christ est donc la tête, l’Église est le Corps, et nous sommes les membres. Uni à la tête, chaque membre exerce sa fonction propre et y trouve sa raison d’être. Si l’Église est cette mystérieuse unité organisée et intime entre le Christ et ceux qui croient en Lui, comment se traduit-elle dans la réalité de la vie de l’Église d’aujourd’hui ? Comment le Christ ressuscité y est-il effectivement présent, selon sa promesse : " Je serai avec vous jusqu’à la fin des temps " (Mt 28, 20) ? Comment ses fidèles vivent-ils " en Lui ", unis entre eux et à Lui aussi intimement que les membres d’un corps à la tête, que les sarments au cep, que les pierres d’un édifice à la pierre d’angle ?

Le Christ, Fils unique et Verbe de Dieu, vrai Dieu de vrai Dieu, est présent de plusieurs manières. Il l’est d’abord par sa Parole qui se fait chair et descend dans le monde pour se faire entendre, c’est-à-dire par son Esprit, le don du Saint Esprit qui manifeste sa présence dans la proclamation et la prédication de la Parole. C’est précisément ce que les disciples ont vécu, devenus langues de Dieu par l’opération du Saint Esprit.

C’est dire que l’Église n’est pas une société de philosophie diffusant une doctrine, mais le mystérieux réceptacle de la présence dans le monde du Christ ressuscité, vivant par l’opération du Saint Esprit au sein de ses fidèles. Certes, nous ne le voyons pas comme Thomas le voyait, ou tel que nous le verrons lorsqu’Il reviendra avec gloire juger les vivants et les morts. Mais Il est présent par son Esprit dans la Parole annoncée, un peu comme celle d’un correspondant dont la voix se fait entendre dans l’écouteur téléphonique. En réalité, aucune image ne peut traduire cette réalité spirituelle qui constitue l’être profond de l’Église.

On objectera évidemment que l’Église se présente à nous comme une société d’hommes pécheurs. Et lorsque l’on connut toutes les laideurs, toutes les mesquineries, toutes les ambitions, tous les appétits et parfois même tous les crimes qui ont marqué cette société, on se demande comment elle peut bien être le Corps du Christ, " l’épouse sans tache ni ride ", la future Jérusalem céleste éclairée par le triple et resplendissant Soleil de l’Unique Divinité ? De la même manière, lorsque Pilate présenta à la foule des juifs " l’homme de douleurs " au visage ensanglanté et souillé de crachats, il fallait beaucoup de foi pour y reconnaître le Roi de gloire qui trône sur les Chérubins ; pourtant, c’était bien Lui. Le mystère de l’Église, c’est justement cette présence du Verbe divin, de la Parole de Dieu, de la deuxième Personne de la Sainte Trinité au sein d’une société de pécheurs qui défigurent et caricaturent – plus ou moins selon les lieux et les époques – l’image du Christ qu’elle a pour vocation de présenter au monde. C’est bien là, incarné dans son Église et vivant dans son Corps, que se cache et se manifeste le Fils de Dieu. C’est bien là que le croyant peut entendre sa voix, le rencontrer et s’unir à Lui.

Présent dans son Église par sa Parole, le Fils de Dieu s’y incarne plus mystérieusement encore par la divine eucharistie. L’opération du Saint Esprit, qui rendit le Verbe présent dans le sein de la Vierge Marie ainsi que dans l’assemblée des fidèles par le don des langues, le rend également présent dans le pain et le vin afin qu’Il soit présent en ceux qui y communient, confirmant la parole du Christ : " Ceci est mon corps... Ceci est mon sang... " Le Saint Esprit change le pain et le vin en corps et en sang du Sauveur afin que ceux qui y communient soient changés eux aussi par le même Saint Esprit et deviennent réellement membres du Corps du Christ. C’est dire que le Saint Esprit fait de l’Église – nourrie de l’eucharistie – la chair du Christ. Le mystère eucharistique, comme le mystère de la Parole et avec lui, est constitutif de l’Église : édifiés par la Parole de Dieu et nourris par la chair et le sang du Christ, les membres de l’Église sont transformés par le Saint Esprit en cellules du Corps du Christ, en sorte que l’Église devient véritablement chair de Dieu, que le Fils s’incarne en elle, qu’elle prolonge et perpétue la présence dans le monde du Verbe divin. Emmanuel – " Dieu avec nous " – n’est pas seulement avec les Juifs de l’époque de Ponce Pilate, mais avec tous les croyants de tous les temps et de tous les lieux qui se nourrissent du pain et du vin " eucharistifiés " (Justin). L’eucharistie perpétue et actualise en tout lieu et en tout temps le mystère de l’Incarnation ; par elle, le Saint Esprit christifie l’Église.

Un seul Grand Prêtre

Notre Seigneur Jésus Christ, homme et Dieu, est le seul intermédiaire entre les hommes et Dieu. C’est Lui qui vient faire connaître aux hommes le Père qu’Il est le seul à connaître ; c’est Lui qui intercède sans cesse auprès du Père pour les hommes, ses frères. Il est notre seul Grand Prêtre qui s’est offert lui-même une fois pour toutes en sacrifice sur la Croix, pour les péchés des hommes.

Ce sacerdoce, le Christ – prêtre pour l’éternité – l’exerce actuellement avec tout son Corps qui est l’Église ; c’est toute l’Église en tant que Corps du Christ qui prolonge, perpétue, actualise le sacerdoce du Christ. En effet, l’Église continue à annoncer au monde la Parole qu’elle porte en elle, actualisant la révélation que nous a faite le Seigneur Jésus. À travers la prédication de l’Église, c’est le Christ qui parle au monde. De même, l’Église continue à offrir l’unique sacrifice du Christ sur la Croix par le mystère du pain et du vin " en faisant cela en mémoire de Lui ". À travers l’offrande de l’Église, c’est le Christ qui s’offre pour le salut du monde. […]

Lorsque le Christ, le jour de sa résurrection, insuffla aux seuls apôtres le Saint Esprit, en leur disant : " Recevez le Saint Esprit, ce que vous délierez sur terre sera délié au ciel " (Mt 18, 18), Il leur conféra ce que nous appelons aujourd’hui le sacerdoce ministériel qui est reçu dans le sacrement de l’ordre. Lorsqu’Il envoya ce même Saint Esprit à tous les disciples assemblés " d’un seul cœur " le jour de la Pentecôte, il leur conféra le " sacerdoce royal " (1 P 2, 5) que les fidèles reçoivent aujourd’hui dans le sacrement de la chrismation.

Sacerdoce ministériel ou sacerdoce royal, sacerdoce du clergé ou sacerdoce des laïcs, diversité de dons et diversité de fonctions, il s’agit toujours d’un même Esprit agissant dans chaque membre, afin que l’ensemble du Corps qui est l’Église exerce l’unique sacerdoce du Christ, c’est-à-dire actualise dans le monde d’aujourd’hui l’action rédemptrice de notre unique Grand Prêtre Jésus Christ, prêtre pour l’éternité. Le sacerdoce du Christ se perpétue et s’actualise dans l’œuvre symphonique de son Église : l’Esprit fait résonner la voix du Fils dans le monde par la multiplicité et la diversité des instruments dont Il se sert. Le mystère du sacerdoce – celui des ministres et celui des laïcs – comme le mystère de l’eucharistie et le mystère du don des langues, n’est qu’un aspect de cet unique mystère de l’Église. Un mystère par lequel le Saint Esprit incarne le Verbe dans l’ensemble des fidèles et rend ainsi le Christ mystérieusement, ou plutôt mystériquement – c’est-à-dire sacramentellement – présent dans le monde, en attendant qu’Il y revienne visiblement et avec gloire le jour de son second avènement.

La vie en Christ

La vie chrétienne ne se réduit pas à une morale, à l’obéissance à des commandements, à l’écoute d’un message : nous ne sommes pas seulement des disciples qui accueillons l’enseignement du Maître. La vie chrétienne est une vie en Christ : " Ce n’est plus moi qui vis, c’est Lui qui vit en moi " (Ga 2, 20). Et s’il vit en toi, en moi, en lui, Il vit en nous. L’Église, c’est Dieu en nous. Nous unis par l’opération du Saint Esprit au Dieu fait homme, au Christ ; nous unis entre nous, par Lui et en Lui unis.

Réduire la vie chrétienne à l’acceptation d’une doctrine, à l’imitation d’un maître, à l’enseignement d’une morale, c’est en faire une religion, un " isme " parmi d’autres. Le mot " christianisme " n’existe pas dans le Nouveau Testament. C’est un terme de sociologue, d’historien, voire d’incroyant. Mais si nous découvrons que depuis que le Fils s’est fait homme et a donné le Saint Esprit, les hommes peuvent se joindre au Christ, s’unir réellement à Lui, vivre de Lui et en Lui ; si nous découvrons également que le lieu de cette rencontre entre le Créateur et ses créatures, le lieu où le Saint Esprit effectue cette greffe des hommes sur le Christ-Dieu, le lieu où les hommes réconciliés avec Dieu – parce qu’unis au Dieu-homme – sont aussi réconciliés entre eux, s’appelle l’Église, alors nous pouvons proclamer avec le Credo : " Je crois en l’Église. " […]

Dès lors, posons-nous sérieusement la question : qu’est-ce que l’Église pour nous : une affaire de curés, une institution séculaire qui joue un rôle plus ou moins important dans la société, ou bien notre propre famille dont nous nous sentons responsables ? Et pourquoi allons-nous à la messe, à la Divine liturgie de temps à autre le dimanche ? Y allons-nous pour nous recueillir et prier pour nos parents défunts, ou bien parce que, étant à la fois l’œuvre de Dieu (" divine ") et l’œuvre du peuple, elle est pour nous la source d’énergie qui donne le courage d’affronter la vie, lui donne son sens, sa finalité en l’orientant vers le royaume de Dieu ? Est-elle vraiment pour nous le point de départ et le point d’arrivée de la semaine, le cordon vital reliant la vie terrestre et la vie céleste, le moment privilégié projetant la lumière de la résurrection sur tous les événements du quotidien ? Est-elle vraiment pour nous le lieu où se tissent les liens privilégiés entre frères et sœurs, où s’édifie la communauté des croyants, le laboratoire où se fait l’Église ?

Extrait de Cyrille Argenti, N’aie pas peur,
Le Sel de la terre/Cerf, 2002.


LA LITURGIE ET LA VIE

par le père Cyrille Argenti

Combien de fois chacun de nous n’a-t-il pas entendu dire, à propos de telle ou telle personne : " On la voit à l’église, mais quand on la regarde vivre, il vaudrait mieux être athée. " Cette phrase, malheureusement devenue classique, nous interpelle : comment la liturgie peut-elle redevenir ce qu’elle doit être, le centre rayonnant de notre vie ? Comment se fait-il aussi que nous ayons fréquemment l’impression du contraire ?

Avant et après la résurrection du Christ

Nous pensons souvent que nous allons à l’église pour prier. C’est vrai, mais nous pouvons aussi prier dans notre chambre, seuls avec Dieu. La liturgie est plus qu’une simple prière : elle est une action, dans l’attente ou en réponse à ce que Dieu fait. Car si elle est bien une " œuvre du peuple " – c’est le sens du mot grec leitourgia – elle est essentiellement acte de Dieu ; elle mérite donc bien son nom de Divine liturgie.

De fait, on caricature fréquemment la liturgie. Les gens souvent y viennent " pour se recueillir ", de même qu’ils vont au match de football pour se distraire, à la mer pour se baigner ou encore au bureau pour travailler. Comme s’il y avait un " petit coin " où l’on va le dimanche pour trouver un moment de paix, de tranquillité, avant de reprendre sa vie comme avant, en disant simplement, une fois dehors : " Ah, comme la chorale a bien chanté ! " ou : " Ah, comme le prêtre a bien... ou plutôt comme il a mal prêché. "

Essayons d’aller un peu au fond des choses. Et pour cela, comparons la conduite des disciples du Seigneur avant et après sa résurrection. Le soir du Jeudi Saint, au mont des Oliviers, quand Jésus souffre son agonie dans le jardin de Gethsémani, les apôtres Pierre, Jacques et Jean s’endorment. Au moment de son arrestation, les disciples l’abandonnent tous et prennent la fuite, comme l’avait annoncé Jésus : " Les brebis du troupeau seront dispersées " (Mt 26, 31). Quand Jésus comparaît devant le Sanhédrin, Pierre le renie trois fois.

Disciples en train de dormir, troupeau dispersé, croyants en fuite, Pierre reniant son maître, est-il étonnant que le Seigneur Jésus dise alors : " Mon âme est triste à en mourir " (Mt 26, 38). Et qu’il conclue : " C’est le pouvoir des ténèbres " (Lc 22, 53). On retrouve nombre de ces caractéristiques, états d’âme et attitudes – fuite, dispersion, désunion, tristesse, somnolence, pouvoir des ténèbres – dans la société, autour de nous et peut-être dans nos propres cœurs, dans notre propre rapport à la vie. Une sorte d’angoisse et de crainte, de manque de courage et d’espérance, de ras-le-bol. Cela à tous les âges, même chez les jeunes.

Considérons maintenant l’attitude des disciples après la Résurrection, telle qu’elle apparaît dans les premiers chapitres des Actes des Apôtres. Le matin de la Pentecôte, Pierre le craintif, qui avait eu peur d’une petite servante dans la cour du grand-prêtre, cite David : " Mon cœur était dans la joie, et ma langue chante d’allégresse. " Puis, plein d’audace, il ajoute : " Ce Jésus que vous aviez crucifié, Dieu l’a fait Seigneur et Christ " (Ac 2, 36). Saint Luc décrit ainsi la vie des premiers chrétiens : " Ils étaient assidus à l’enseignement et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières où des prodiges et des signes s’accomplissaient parmi les apôtres. Tous ceux qui étaient croyants étaient unis, et ils mettaient tout en commun. Ils étaient remplis de paix, ils rompaient le pain à domicile, ils prenaient la nourriture dans l’allégresse, dans la simplicité de cœur, ils louaient Dieu et trouvaient un accueil favorable auprès du peuple tout entier " (Ac 2, 42-47).

Avant la Résurrection dominaient la dispersion, la somnolence, la tristesse, la lâcheté, la fuite, les larmes. Après la Résurrection règnent la joie, l’allégresse, le courage, l’assiduité, la fraternité, l’unité. Autrement dit, la Croix, la Résurrection, la Pentecôte ont complètement changé l’état d’âme, le cœur des personnes et de la communauté chrétienne tout entière. Les fidèles sont différents, non seulement en tant qu’individus, mais aussi en tant que communauté. La Résurrection et la Pentecôte les ont transformés. Ils sont vraiment devenus des hommes nouveaux qui vont pouvoir aller à la conquête de tout le monde romain. Le changement sera tel qu’en l’espace d’une quarantaine d’années, l’Évangile se sera répandu sur tout le pourtour du Bassin méditerranéen.

Quel rapport avec la liturgie ? Le Christ n’est pas ressuscité, le Saint Esprit n’est pas descendu le jour de la Pentecôte simplement pour les hommes d’une génération et les juifs de Jérusalem à l’époque de Ponce Pilate, mais pour tous les hommes de tous les temps. Le lieu et le moment où les hommes peuvent être changés par la résurrection du Christ et la Pentecôte, c’est justement la Divine liturgie. Celle-ci est ce lieu et ce moment où, par le Saint Esprit, le Christ accomplit pour les hommes d’aujourd’hui tout ce qu’Il a fait sous Ponce Pilate. Par conséquent, le changement qui s’est opéré dans le cœur des disciples et de la communauté chrétienne au moment de la Résurrection et de la Pentecôte, doit pouvoir s’effectuer dans le cœur de tous les membres de toute communauté chrétienne aujourd’hui, lorsqu’elle célèbre la liturgie. C’est la raison d’être même de celle-ci. […]

 Action de grâces

Venons-en maintenant à la partie dite " liturgie des fidèles ", la liturgie eucharistique. On entend quelquefois dire : " J’ai reçu l’eucharistie. " C’est évidemment un non-sens total qui montre qu’on n’a rien compris, puisque étymologiquement eucharistie – qui vient du grec eucharistô – signifie : " merci ". Faire eucharistie, c’est remercier, rendre grâce. La grande prière dite eucharistique commence par ces mots: " Rendons grâce au Seigneur ", et le chœur répond : " Cela est digne et juste ", tandis que le prêtre reprend : " Il est digne et juste de te louer, de te chanter, de te remercier... "

La Divine liturgie est donc un remerciement adressé au Père. Pour quoi ? D’abord, pour la création, pour nous avoir amenés du néant à l’être. Ensuite, pour toute l’œuvre de son Fils, rendue actuelle et efficace aujourd’hui par l’opération du Saint Esprit. La célébration devrait donc s’accompagner d’un débordement de reconnaissance envers le Père, le Fils et le Saint Esprit, de la part de tous ceux qui y participent, en particulier le ministre qui préside à l’action de grâces de l’assemblée. Reconnaissance envers le Père, parce qu’Il " a tant aimé le monde qu’Il a envoyé son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle " (Jn 3, 16). Reconnaissance envers le Fils, parce qu’Il s’est offert lui-même sur la Croix ; ce n’est pas une petite chose que de savoir, de reconnaître que le sang du Christ a été versé pour moi, pour moi personnellement et pour nous tous ensemble. Reconnaissance enfin envers le Saint Esprit, parce qu’Il nous transmet, aujourd’hui, cette vie de Dieu que le Christ a donnée en mourant sur la Croix.

Voilà pourquoi saint Nectaire, au début de ce siècle, ne pouvait pas dire la prière qui précède la Grande Entrée sans pleurer, tant sa reconnaissance était immense et la conscience de son indignité intense. Mais nous aujourd’hui, prêtres et laïcs, nous ne pleurons pas lorsque nous célébrons la mort et la résurrection de notre Sauveur, qui s’est livré aux mains des hommes qui l’ont tué. Nous ne faisons, au mieux, que nous " recueillir " avec notre cœur de pierre, au lieu de vibrer d’amour et de reconnaissance avec un cœur de chair. Pourtant, la terre a tremblé d’effroi, le soleil s’est voilé, la création tout entière a été ébranlée par l’effroyable combat de Dieu. Toutes les forces se sont conjuguées à celles du Prince de ce monde pour crucifier le Christ, se débarrasser de Lui qui était en train de libérer de l’emprise du tyran notre pauvre monde déchu " qui gémit dans les douleurs de l’enfantement " (Rm 8, 22). En présence de ce mystère d’amour, de ce triomphe décisif du Crucifié-Ressuscité qui a dit : " Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font " (Lc 23, 34), nous, peuple de Dieu, restons pieusement glacés. Ô Seigneur, change nos cœurs de pierre en cœurs de chair et notre ingratitude en un grand cri d’action de grâces ! 

L’offrande de soi

Comment s’exprime cette action de grâces ? Par une offrande. C’est le point crucial. Autrefois, on ne disait surtout pas " Le prêtre dit sa messe ", ce qui est un non-sens. On ne disait pas non plus : " Le prêtre célèbre la liturgie ", ce qui est déjà un peu mieux. Mais on déclarait : " Le prêtre est celui qui offre les saints dons. " Saint Clément de Rome, écrivant aux chrétiens de Corinthe en l’an 95, désigne les " presbytres (du grec presbyteroï : " anciens ", qui a donné en français le mot " prêtre ") comme " ceux qui offrent les dons ". L’offrande du pain et du vin, au nom du peuple, était donc considérée par les premiers chrétiens comme l’acte le plus caractéristique et le plus important du ministère des prêtres. Elle tenait aussi une place essentielle dans la vie des fidèles. Au IVe siècle, le gouverneur hérétique de la Cappadoce menaça de mort saint Basile, parce que celui-ci lui avait refusé son offrande ; tout hérétique qu’il fût, il savait qu’on reconnaissait un chrétien à son offrande de pain et de vin, et au fait qu’elle était jugée acceptable. Aujourd’hui, hélas, les choses ont changé. L’offrande du pain et du vin n’apparaît plus comme l’acte le plus important et central dans la vie d’un prêtre ; elle l’est encore moins pour les fidèles.

Pour bien comprendre le sens de cette offrande, oublions un instant notre civilisation industrielle. Supposons que nous sommes encore des cultivateurs : nous avons passé l’année à labourer notre champ et semer du blé, nous l’avons moissonné, moulu, transformé en farine, nous avons fait cuire le pain. Dans notre vie de paysan, le pain représente toute notre vie, le fruit de toute une année de labeur. Il en va de même du vin pour le vigneron. C’est donc tout notre travail et toute notre vie, toute notre personne et toute la création que, en tant que membres de l’Église et avec toute l’Église, nous offrons avec le pain et le vin dans la liturgie, selon la parole de saint Paul : " Je vous exhorte, frères, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice saint et agréable à Dieu " (Rm 12, 1).

Si je vous donne ma montre, elle n’est plus à moi, et je ne l’ai plus pour moi. Offrir, c’est donc cesser de garder pour soi, renoncer à tout égoïsme pour tout présenter à Dieu. S’offrir soi-même avec le pain et le vin, c’est finalement s’associer à la Croix du Christ par un don total de soi.

Il est donc très important que le fidèle qui vient à l’église le dimanche, le jour du Seigneur et de sa résurrection, apporte son pain d’offrande (" prosphore ") son vin et ses diptyques (d’un mot grec qui signifie " feuille double ". Il s’agit d’une double liste – sous la forme de morceau de papier ou de petit carnet – où le fidèle inscrit son propre prénom et celui de toutes les personnes vivantes et décédées qu’il désire présenter, " offrir " à Dieu et faire commémorer) qu’il remet au diacre ou au prêtre. Il est malheureusement déplorable de constater qu’un très grand nombre de fidèles aujourd’hui n’y pensent plus, n’apportent plus rien. Mais comment peut-on offrir des dons au nom du peuple, si le peuple ne les a pas apportés ? Si le prêtre va à la boulangerie acheter le pain, ce n’est plus l’offrande du peuple.

Si nous voulons vraiment associer notre vie à la liturgie, il est essentiel de nous représenter devant Dieu avec tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons. Participer à la Divine liturgie, c’est, à travers notre prosphore   et nos diptyques, nous offrir nous-mêmes à notre Créateur, avec toute notre famille et tous ceux auxquels nous pensons, nos amis – mais aussi nos ennemis -, les vivants et les morts. […]

Nous avons tous des soucis et des tourments : " Comment pourrai-je m’en tirer, comment vais-je joindre les deux bouts à la fin du mois ? " Déposer ces soucis, c’est écarter notre manque de confiance, chasser toute crainte du lendemain pour déposer, dans un acte de confiance, toute notre espérance sur l’autel de Dieu. C’est écarter tout notre égoïsme pour nous offrir nous-mêmes dans un acte de confiance totale, au moment même où le diacre, passant parmi les fidèles, prononce la parole du Bon Larron : " De nous tous souviens-toi, Seigneur, quand tu entreras dans ton Royaume. " C’est au pied de la Croix que nous déposons les soucis de ce monde ainsi que toute notre vie, nous associant par là même à la Croix du Christ. Ce faisant, nous ouvrons les fenêtres et les volets au grand air du dehors, au grand souffle de l’Esprit, à la puissance de Dieu. […] 

La Pentecôte continuée

Présentée ainsi à Dieu avec action de grâces et au nom de toute l’assemblée, l’offrande de l’Église – non seulement le pain et le vin, mais toute notre personne et toute la communauté – est alors exposée à la lumière et à l’action de l’Esprit. C’est pourquoi le célébrant prie le Père au nom de tous : " Nous te demandons, nous te supplions, envoie sur nous et sur ces dons ton Saint Esprit. " Pour quoi ? Pour qu’Il change cette offrande de l’Église en l’offrande du Christ sur la Croix. Le pain est alors effectivement transformé en corps et le vin en sang de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ, afin que tous ceux qui participent " à ce même pain et ce même calice communient au même Saint Esprit " et qu’ainsi nous participions à la " plénitude du royaume des cieux ".

En disant " Ceci est mon corps... Ceci est mon sang ", le Christ confirme par l’opération du Saint Esprit une réalité actuelle. La matière déchue devient corps du Ressuscité, et le royaume de Dieu est parmi nous ! Ainsi, la Pentecôte n’est plus un événement du passé, mais devient une réalité actuelle. Le royaume des cieux n’est plus une espérance lointaine, mais l’objet d’une expérience immédiate. Si nous participons à la Divine liturgie, c’est précisément pour rencontrer Dieu en la Personne du Saint Esprit qui repose dans le corps du Christ ressuscité que nous recevons lors de la communion.

La Divine liturgie, c’est précisément la Pentecôte continuée, l’Esprit qui descend sur les fidèles et le monde, " renouvelle la face de la terre " (Ps 103, 30). Dans l’Ancien Testament, les prêtres de Baal avaient fait beaucoup de gymnastique, de contorsions et de chants magiques pour invoquer le feu du ciel, mais rien ne s’était produit. Le prophète Élie, en revanche, après avoir fait arroser trois fois l’autel de l’offrande, invoque le vrai Dieu qui envoie le feu du ciel, absorbe toute l’eau et consume l’offrande.

Le feu du ciel, c’est le Saint Esprit descendu le jour de la Pentecôte, qui descend à chaque nouvelle liturgie sur nous et sur les dons offerts. Il ne s’agit plus de recueillement, mais d’un vrai événement : la Divine liturgie est ce moment, " effroyable ", où Dieu lui-même, en la Personne du Saint Esprit, nous visite. Il fait du pain " le corps de son Christ " – le peuple dit Amen et du vin " le sang de son Christ " le peuple dit une nouvelle fois Amen – " en les changeant par son Saint Esprit ", le peuple répond : Amen, amen, amen.

Ce n’est donc pas seulement le prêtre qui demande. Par ce triple Amen, c’est le peuple tout entier qui, dans l’épiclèse communautaire, supplie Dieu d’envoyer effectivement, à ce moment-là, son Saint Esprit. Je me souviens d’une jeune femme, morte il y a quelques années, qui me disait un jour : " Au fond, par cet Amen au moment de l’épiclèse, je sens que dans une certaine mesure il dépend de moi que le Saint Esprit vienne ou ne vienne pas. " […] Notre Amen nous associe, associe chaque personne à la prière du prêtre.

À ce moment-là, avec la descente de l’Esprit Saint, le Christ ressuscité devient réellement présent. Il dit : " Ceci est mon corps. " C’est pourquoi, après avoir communié, nous disons : " Ayant contemplé la résurrection du Christ. " Avant, nous faisions mémoire avec reconnaissance de la mort et de la résurrection du Christ, maintenant cette résurrection est devenue actuelle par l’opération du Saint Esprit. C’est par l’action de ce même Esprit que le Fils de Dieu s’est fait chair et que le pain devient le corps mystérieux du Christ ressuscité. C’est pour cela que notre vie va pouvoir changer.

Si ce qui est en jeu n’est pas la présence du Ressuscité, la liturgie ne va rien changer à notre vie. En revanche, c’est parce que le Ressuscité est présent parmi nous à la liturgie comme Il l’était parmi les disciples à l’époque des apôtres, que nous pouvons espérer que s’opère en nous, après la liturgie, le même changement qui s’est effectué dans l’attitude, la pensée et la vie des disciples après la Résurrection. En dehors de cela, l’épiclèse, comme toute la liturgie d’ailleurs, n’a aucun sens. S’il s’agit simplement de manger du pain et de boire du vin, autant aller à la boulangerie et au bistrot du coin. […] 

Union charnelle au Christ

La Divine liturgie débouche sur la communion : " Prenez, mangez, buvez-en tous " (Mt 26, 26-27). Or, " celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui " (Jn 6, 5-6). La finalité de la Divine liturgie est donc cette union intime du Christ et des communiants, union qui peut transformer totalement leur façon d’être et de vivre en les incorporant au Christ ressuscité.

Si nous croyons réellement au changement du pain et du vin en corps et en sang du Ressuscité, si nous " discernons le corps du Seigneur " (1 Co, 11, 21), alors nous nous rendons compte que la communion est une véritable union charnelle entre le Fils fait chair et le communiant. C’est pour rendre possible cette union que le Christ a " répandu " son sang sur la Croix, Aucune prière, aucune vertu, aucun comportement ne peut remplacer cette véritable transfusion de sang qui donne la Vie, par laquelle nous devenons un seul Corps avec le Christ. Il ne s’agit donc pas " d’aller à la messe " ou " d’assister à la messe " : tout le déroulement de la Divine liturgie est orienté vers le moment suprême où le diacre ou le prêtre proclame : " Avec crainte de Dieu, foi et amour, approchez ", et où les fidèles, ayant répondu à cette invitation à participer au banquet du Royaume, s’écrient : " Nous avons vu la vraie lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la vraie foi, nous adorons la Trinité indivisible, car c’est elle qui nous a sauvés. " […] 

Transformation personnelle

Pourquoi demandons-nous que le pain devienne le corps du Christ et le vin le sang du Christ ? Il ne s’agit pas que le Christ ressuscité devienne présent uniquement pour que nous l’adorions, mais pour que nous y communions et, ce faisant, que nous soyons transformés. La finalité de l’eucharistie, c’est le changement de notre vie : " Afin qu’ils [les saints dons] deviennent pour ceux qui les reçoivent sobriété de l’âme, rémission des péchés, communion du Saint Esprit, plénitude du royaume de Dieu. " […]

Cette transformation par le corps et le sang du Christ n’a rien d’automatique ni de mécanique, car la communion n’a pas un effet magique sur les fidèles. Elle ne porte ses fruits qu’à deux conditions : si elle est précédée d’une conversion sincère et si elle est suivie d’une adhésion fidèle et permanente au Christ reçu.

La conversion sincère correspond à un " retournement ", à une réorientation de tout notre être vers Dieu, à l’engagement sincère de changer notre comportement et notre style de vie. La sincérité de cette démarche s’affirme par un renoncement effectif à une vie de péché. C’est pourquoi la communion doit être précédée de la réconciliation avec notre ennemi, la rupture avec notre amant ou notre maîtresse, le renoncement à un statut social d’exploitation ou de haine. De telles décisions, cependant, seraient utopiques et inopérantes, resteraient des vœux pieux si elles ne débouchaient pas sur la communion eucharistique par laquelle " ce qui est impossible aux hommes est possible pour Dieu ".

L’adhésion fidèle implique que la présence du Christ, reçu dans la communion, soit chérie par un attachement de tous les jours, une fidélité et une vigilance de tous les instants. Cela à l’instar du mariage qui est préparé par les fiançailles et un engagement où l’on enterre sa vie égoïste de célibataire, et qui est suivi par toute une vie de fidélité et de dévouement.

En revanche, si l’on communie sans foi, machinalement, inconsciemment ou d’une façon irresponsable, le corps et le sang du Christ – charbons ardents – brûlent le communiant au lieu de le réchauffer et de l’éclairer. " C’est pourquoi, dit saint Paul, il y a parmi nous tant de malades et d’infirmes, et qu’un certain nombre sont morts " (1 Co 11, 30). Mais lorsqu’on communie avec confiance dans la force pardonnante, guérissante et transfigurante du Saint Esprit, quand rayonne le corps du Ressuscité, nous devenons petit à petit une " nouvelle création ". Nous reflétons la gloire du Seigneur et nous sommes " transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, comme de par le Seigneur, qui est Esprit " (2 Co 3, 18). […]

La communauté en Christ

Le changement qui se réalise dans la communion n’est pas seulement individuel et vertical : entre Dieu et moi. Il est aussi horizontal : entre les frères et sœurs et moi. En communiant au même Christ, les fidèles communient entre eux comme membres d’un même Corps. Ainsi se crée par la Divine liturgie une communauté qui entre en communion non seulement avec toutes les autres assemblées eucharistiques disséminées dans le monde, mais aussi avec tous les communiants du passé depuis les apôtres, et même depuis les prophètes et tous les justes de l’Ancienne Alliance, qui ont annoncé et attendu la venue du Christ. Ainsi, par la Divine liturgie, se " bâtit le Corps du Christ, jusqu’à ce que nous parvenions tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu [...] à la taille du Christ dans sa plénitude " (Ep 4, 12-13), afin de " réunir l’univers entier sous une seule tête, le Christ " (Ep 1, 10). De même qu’elle a été entraînée dans la chute par la chute de l’homme, de même la création tout entière est renouvelée lorsque l’homme qui la relie au Créateur est restauré dans son intégrité. La Divine liturgie est le foyer d’où rayonne le renouvellement de tout l’univers.

La communion au Saint Esprit qui se réalise par la communion au saint pain et au saint vin va donc souder la communauté en Christ. Non pas magiquement, car ce n’est pas parce que nous aurons célébré la liturgie ensemble une fois que nous allons être unis pour toujours. Mais lorsqu’une communauté communie régulièrement avec crainte de Dieu, foi et amour, petit à petit elle se soude en Christ.

Dans l’eucharistie, tout est communautaire : l’offrande, car nous offrons non seulement notre personne, mais la vie de toute la communauté, avec ses faiblesses, ses disputes, ses différends et ses barrières ; l’épiclèse, car nous demandons la venue du Saint Esprit sur nous tous ; la communion, car elle réalise progressivement l’unité de la communauté et fait de celle-ci l’Église.

Certes, de même que nous retombons souvent dans les mêmes fautes après avoir communié, de même la communauté retombe souvent dans ses ornières, ses différends et ses disputes après avoir été en communion à la Divine liturgie. Mais il ne faut pas nous décourager. Si nous persévérons, la communion va peu à peu transformer notre communauté. Une communauté de personnes qui communient ensemble, dimanche après dimanche, devient progressivement Église, c’est-à-dire lieu de la présence du Christ. […]

En persévérant dans l’épiclèse et la communion, notre communauté pourra petit à petit témoigner de ce que cachent ces grands mots dont nous nous gargarisons tant que j’ose à peine les prononcer " amour ", " justice ", " liberté ".

C’est par l’action du Saint Esprit que ces mots peuvent devenir peu à peu des réalités dans une communauté. Une communauté qui fait eucharistie et qui communie peut être imprégnée par la Parole de Dieu et par l’Esprit de Dieu ; c’est alors l’Esprit lui-même qui témoigne de l’existence du Christ ressuscité dans la société. Tel est notre but.

Extrait de Cyrille Argenti, N’aie pas peur,
Le Sel de la terre/Cerf, 2002.


Le sacrement du frère

" Où est l’action du Saint-Esprit ? Le Saint-Esprit est Celui qui nous fait découvrir la présence du Christ dans l’autre. Je vais peut-être vous choquer, mais je crois être strictement orthodoxe en disant que recevoir le Corps et le Sang du Christ devant l’autel et recevoir à sa table familiale un chômeur algérien, sont deux actes de même nature. À chaque fois, il s’agit de l’unique sacrement, de la présence du Christ en ce monde, par l’opération du Saint-Esprit. "

Extrait de l’article du père Cyrille Argenti, " De l’accueil de l’étranger à la lutte contre la torture :
la responsabilité du chrétien ", N’aie pas peur, Cerf/Le Sel de la terre, 2002.
Voir le texte complet à la page : Le Sacrement du frère.


Pour aller plus loin - le père Cyrille Argenti

Un livre : Cyrille Argenti, N’aie pas peur, Le Sel de la terre/Cerf, 2002. Ce livre comprend un essai d'introduction par Olivier Clément, « Éloge d’un prophète, entre fidélité et liberté », un texte autobiographique du père Cyrille Argenti, «La découverte de l'Église à travers ma propre vie, une autobiographie spirituelle », et 29 textes du père Cyrille sur divers sujets.

Un site web : Textes et Émissions Radiophoniques du Père Cyrille Argenti (http://perecyrille.net/). Les textes sur ce site  sont adaptés des émissions radiophoniques du père Cyrille Argenti, diffusées sur Radio Dialogue, radio oecuménique marseillaise, dont il fut l'un des fondateurs. Les textes sont regroupés sous plusieurs rubriques : La vie en Christ ; l'Église ; les Pères de l'Église ; les sacraments ; le cycle liturgique ; les Écritures ; et la Mère de Dieu.

Aux Pages Orthodoxes La Transfiguration voir aussi du père Cyrille Argenti :

Le sens de la prière.
Le sacrament du frère.


Introduction aux Pages du mariage
 et de la vie chrétienne dans le monde

 



Dernière modification: 
Dimanche 7 avril 2024