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« En toi se réjouit toute créature »
Icône de Novgorod, fin XVe siècle
La beauté comme
révélation de Dieu
et offrande de lhomme
La liturgie de lÉglise orthodoxe est toute entière une icône de la liturgie céleste, une image du siècle à venir. Tout y est utilisé afin de révéler au coeur de lhomme la beauté du Royaume de Dieu. En grec comme en hébreu, le même mot signifie à la fois le beau et le bon. La vérité de Dieu est aussi beauté : une beauté qui appelle au coeur de lhomme. Pour comprendre cela, lhomme doit acquérir cet esprit denfance auquel nous invite le Christ, non pas dans la naïveté ou la mièvrerie, mais dans cette faculté irremplaçable démerveillement par laquelle Dieu se laisse découvrir au plus profond de nous-mêmes. Seuls les coeurs purs, simples et humbles devant Dieu peuvent saisir cette beauté dans laquelle Dieu nous montre sa Face, dans la splendeur rayonnante de son amour.
Lenseignement de lhymnographie, la richesse des textes liturgiques, comme lensemble de ce que lon peut appeler lesthétique liturgique, ne sadressent pas uniquement à la raison ; ils parlent aussi directement au coeur de lhomme.
Ainsi la liturgie est-elle faite pour englober lhomme, le nourrir, lilluminer. Le fidèle qui participe à la prière de lÉglise ne vient pas pour se concentrer intellectuellement sur un enseignement figé, mais pour simprégner de la beauté de la liturgie, se plonger dans son atmosphère, pour sen nourrir lâme, le coeur autant que lesprit. Répétons-le, il faut être dans la liturgie comme un enfant qui goûte aux merveilles du monde, ce qui signifie une attitude paisible, détendue, autant que concentrée. Cest pourquoi les offices souvent fort longs ne sont pas vécus comme une contrainte, mais comme une vie dans la vie, où le temps est suspendu, dans un avant-goût du Royaume, tout en nécessitant une certaine ascèse, dans leffort de se tenir debout et attentif. Dans la liturgie, la beauté nest pas seulement une icône de la gloire de Dieu. Ou plutôt, elle ne lest que parce quelle a été consacrée à Dieu. Par " consacrée ", il faut entendre littéralement " offerte à Dieu comme une offrande sacrificielle ".
Au sein de la liturgie, lhomme est appelé à apporter à Dieu tout ce qui fait sa vie, tout ce qui la rend précieuse, en définitive tout ce qui y constitue un don de Dieu et qui lui est rapporté en action de grâces. Or le sens du beau est certainement la marque la plus profonde de limage divine en lhomme.
En développant la beauté liturgique dans tous ses aspects, lhomme offre à Dieu non seulement les talents que Dieu a mis en lui pour les réaliser, mais aussi cette faculté inestimable de pouvoir sémerveiller devant la beauté façonnée par lhomme pour en faire une icône du Royaume.
Léglise : Lieu sacré
Lédifice de léglise a une architecture répondant au besoins de la célébration selon le rite de lÉglise orthodoxe. Ce qui différencie léglise de tout autre lieu, cest lautel. Cest sur lautel que sopère le mystère de lEucharistie, le sommet de toutes les célébrations de lÉglise, où le pain et le vin deviennent le Corps et le Sang du Christ. Il est assimilé dans le sacrement au tombeau du Christ où eut lieu la Résurrection de son corps. Lespace entourant lautel, le sanctuaire, est délimité par une cloison supportant des icônes, liconostase. Au centre de cette cloison souvre une porte à double-battants donnant directement sur lautel. De chaque côté de cette porte, on trouve généralement licône du Christ à droite, et celle de la Mère de Dieu à gauche. Seuls les célébrants franchissent cette porte. De même, seuls ceux qui sont appelés au service liturgique entrent dans le sanctuaire. Cette disposition de lautel dans le sanctuaire et de liconostase caractérise toutes les églises orthodoxes, même lorsque le lieu de culte nest quun local aménagé.
À gauche de lautel, une table de petite taille sert à la préparation des saints dons : la prothèse. Avant le début de la célébration, le calice et la patène (disque sur lequel vient reposer le saint pain pendant la célébration) sont disposés sur la prothèse. Le célébrant remplit le calice de vin et deau et découpe dans un petit pain préparé spécialement le morceau qui deviendra le Corps du Christ et le dispose sur la patène. Au moment de loffertoire, durant la célébration de leucharistie, le calice et la patène (disque) sont solennellement portés en procession à partir de la prothèse jusquà lautel. Les célébrants sortent du sanctuaire par une porte latérale, viennent jusquau milieu de léglise puis entrent dans le sanctuaire pour les déposer sur lautel. À droite du sanctuaire se trouve le diaconicon ou sacristie, où sont rangés les ornements et les objets liturgiques.
Hors du sanctuaire, les fidèles et le choeur ou les chantres se tiennent dans la nef. Cest dans la nef que la communion est donnée aux fidèles. Cest là aussi que se déroulent la plupart des sacrements, à lexception du sacrement de lordination, qui a lieu à lautel, et de lonction des malades, qui peut se faire au domicile du souffrant ou à lhôpital.
Le narthex est un vestibule entre la nef et lextérieur où se tiennent les pénitents. Les moines, qui sont des pénitents avant toute chose, y disent les offices typiquement monastiques. Lors des offices liturgiques solennels, on y prononce une grande prière appelée Litie, destinée à lintercession pour le monde, afin de le préserver des calamités et des catastrophes naturelles. À lextérieur, on trouve enfin un péristyle, sorte de préau avec parfois une fontaine. Ces deux parties, le narthex et le péristyle, ne se trouvent que dans les églises bâties. Lorsquun simple local est aménagé en vue de la célébration, on se contente généralement du sanctuaire avec son iconostase et de la nef.
Dans une église construite, lélévation en hauteur se fait toujours en harmonie avec le plan au sol, de manière à ce que les proportions soit agréables à lhomme, pour quil puisse sy sentit chez lui, tout en lui inspirant un sentiment délévation de lesprit. Lharmonie des proportions crée une impression de paix et de bien-être, quelle que soit la taille de lédifice. Ainsi, léglise Sainte-Sophie de Constantinople, un des plus merveilleux exemples de larchitecture liturgique orthodoxe mais aussi une des plus grandes basiliques de la chrétienté, nengendre aucune sensation décrasement, à linverse de bien des cathédrales de style gothique. La coupole hémisphérique de cette basilique enveloppe lespace intérieur, en reproduisant lharmonie du cosmos récapitulée dans léglise.
Cette coupole se retrouve dans la plupart des église orthodoxes, surmontant la nef. Une fresque représentant le Christ Pantocrator, cest-à-dire " souverain de lunivers " y est peinte. La plupart des murs sont ainsi ornés de fresques peintes selon la même technique picturale que les icônes ; elles représentent les scènes de la vie du Christ et des figures de saints. Le fidèle se trouve ainsi " environné dune nuée de témoins ". Cette omniprésence de la sainteté et du mystère de loeuvre du Christ a limmense avantage de créer par sa profusion même un climat psychologique particulièrement propice à la prière et à la paix intérieure. En outre, les couleurs utilisées pour ces fresques mariées au jeu des lumières particulièrement étudié dans la construction de lédifice, contribuent elles aussi à créer lambiance inexprimable de la liturgie orthodoxe.
Licône : Fenêtre sur le Royaume
La vénération des icônes est bien connue du grand public à propos de lOrthodoxie. Le mystère de licône est dordre sacramentel : le sacrement de la présence de celui qui est représenté. Une photo dun être cher nous remémore sa présence. En faisant ainsi mémoire de lui, nous nous sentons proches de lui, au moins sur le plan affectif. Licône développe cela à la mesure du mystère de lÉglise et surtout, elle donne à cette commémoraison une dimension liturgique. Car licône na pas pour objet de flatter nos sens par sa beauté, mais elle nous permet de prier en présence de ce qui est représenté, soit face au mystère de léconomie divine lorsquelle représente une scène comme la Transfiguration ou la Résurrection du Christ, soit dans un face-à-face direct avec le Christ, la Mère de Dieu ou les saints.
Vénérée par les fidèles, encensée par les célébrants, portée en procession, licône est intégrée à la liturgie de lÉglise. À chaque fête liturgique correspond une icône qui en est lexpression picturale, comme les chants liturgiques en sont lexpression verbale.
En se faisant chair, en habitant parmi les hommes, Dieu est " sorti " de sa transcendance pour sabaisser (Saint Paul va jusquà parler d" anéantissement " pour traduire cet abaissement cf. Ph. 2,7) et se rendre ainsi visible et descriptible sous les traits dun homme, dans la personne même du Fils de Dieu. Et cette face nest pas anonyme, elle porte un nom, celui de Jésus, le Sauveur et le Seigneur du monde, vrai Dieu et vrai homme (Symbole de foi de Nicée-Constantinople). Avant le fait inouï de lIncarnation, nulle représentation nétait possible parce que la révélation de Dieu ne sétait pas accomplie avec une telle clarté ni une telle plénitude : la face de Dieu ne sétait pas encore montrée.
Qui a vu le Fils a vu le Père (cf. Jn 14,9), mais aussi lEsprit qui repose sur lui. En effet, aucune représentation du Père et de lEsprit ne sont possibles. La seule icône de la Trinité qui soit acceptable pour lOrthodoxie est une icône symbolique : celle des trois anges accueillis par Abraham sous le chêne de Mambré.
Licône nest donc pas le Christ lui-même, mais son image, image par laquelle il se rend mystérieusement présent. Licône est un moyen, un support de la prière et un soutien de lamour. La vénération qui lui est portée est une vénération relative, elle ne va pas à lobjet lui-même, mais à celui qui est représenté. Au lieu dêtre une réalité matérielle close sur elle-même, comme le serait une idole, elle est une " fenêtre sur le Royaume ", un moyen daccès à linvisible.
Cest pourquoi elle répond à des canons et à une esthétique qui lui sont propres. À linverse dun portrait ou dune photo, licône décrit de manière dynamique un état qui nest pas de ce monde : celui de la nature humaine transfigurée, telle quelle est apparue aux disciples lors de la Transfiguration du Christ au le Mont Thabor, mais aussi à tous ceux qui ont vu le Christ ressuscité. Dans les icônes, quelle que soit le moment de la vie de lexistence du Christ ou des saints représentés, la chair est déjà ressuscitée, illuminée de lintérieur par une lumière qui nest pas de ce monde. Cest pourquoi les formes, la perspective, les couleurs, le sens de la lumière et labsence dombres dans licône lui donnent cet aspect à nul autre pareil, totalement étranger à un art figuratif qui ne cherche quà imiter la réalité visible. Ces formes esthétiques sont un parti pris conscient et avoué de la part des iconographes, selon une science picturale très aboutie.
Le chant : Louange de Dieu
Le chant liturgique est complémentaire de licône et il tient une très grande place dans la liturgie. Lhomme est particulièrement sensible à ce quil entend, et la musique exerce sur lui une influence très grande, tant sur son esprit que sur son corps. LÉglise, reprenant les usages de lAncien Testament (les Psaumes, par exemple, sont avant tout des prières chantées), a toujours utilisé le chant dans ses célébrations. Elle a ainsi créé un univers sonore apte à élever lesprit de lhomme en le pacifiant, pour louvrir à la contemplation des mystères célébrés.
Le chant liturgique répond à des exigences précises, en tous points comparables à celles qui gouvernent liconographie. Il ne vise pas à exprimer des sentiments ou des émotions humaines ; comme licône, il a pour but douvrir lesprit de lhomme à la présence de Dieu, en lui faisant oublier les soucis de ce monde pour sélever vers son Créateur. Lusage des instruments de musique est proscrite dans lÉglise orthodoxe. Seule la voix humaine est apte à louer Dieu. Dautant que les textes des chants priment sur la mélodie, celle-ci nen est que le support, même si à certains moments de la célébration le chant finit par nêtre plus quune mélodie pure.
Le chant crée une harmonie de sons sunissant à lharmonie des couleurs et des formes au sein de lédifice liturgique. Mais laspect rythmique en est tout aussi important. Le rythme du chant doit se greffer sur celui de la célébration et sur les gestes des célébrants, en soulignant les moments importants ou en créant des temps de transition nécessaires au déroulement de la liturgie. Cet aspect rythmique est très important car il contribue à créer latmosphère particulière de la liturgie. Sensible aux sons et aux couleurs, lhomme lest également aux rythmes. Le rythme liturgique tend avant tout à pacifier les fidèles, en les appelant à rentrer en eux-mêmes pour participer le plus profondément possible à la prière commune.
Ce sens du rythme et de la mélodie se retrouve jusque dans la lecture des textes bibliques, comme les psaumes, lÉpître et lÉvangile. Ces lectures ne sont jamais une déclamation comme le ferait un acteur de théâtre ; il sont lus selon un mode propre, sans jamais laisser place à la moindre émotion. Le lecteur, comme le chantre, le célébrant ou le peintre dicône, ne cherche pas à exprimer ses propres sentiments. Tout au contraire, il masque sa personnalité pour faire place à linspiration de lEsprit, afin de laisser libre cours à la parole de Dieu elle-même. Celle-ci doit seule entrer dans le coeur des fidèles sans quinterfère la personnalité du lecteur, de la même manière que celle de liconographe doit seffacer le plus possible lorsquil peint.
Introduction à la Divine Liturgie
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Dernière mise à jour le 15-06-99.