Vie spirituelle

Le Seigneur-Amour

Le Buisson Ardent

Amour divin - Amour humain


Mère de Dieu et Christ Sauveur


par le père Lev Gillet
« Un Moine de l’Église d’Orient »


Moïse dit à Dieu: « J'irai donc vers les enfants d'Israël, 
et je leur dirai: le Dieu de vos pères m'envoie vers vous. 
Mais, s'ils me demandent quel est son nom, 
que leur répondrai-je?
 (Exode 3,13)

Le Buisson Ardent est plus qu’un symbole de la protection divine accordée à une âme accablée de tentations, plus que la purification d’une âme défigurée par les souillures. Le Feu qui brûle sans se consumer lui-même et sans détruire exprime l’essence même de l’Amour incandescent de Dieu. Il nous faut maintenant découvrir comment cette vision de l’amour divin, à la différence de beaucoup d’autres expressions de ce même amour, a une signification unique.

Comme Moïse, nous nous trouvons devant le Buisson Ardent. Comme Moïse, nous disons à Dieu : « Dis-moi ton nom. Sous quel nom vais-je t’annoncer aux hommes ? ».

Quel est donc le nom divin que la vision de l’Horeb nous annonce ? Nous savons quelle grande importance les anciens (à la fois païens et hommes de la Bible) attachaient à la connaissance des noms divins. Connaître le nom d’une divinité était en quelque façon la posséder, prendre part à son être et à sa puissance. La pratique de la « Prière de Jésus » (l’invocation continuelle du nom de Jésus) dans l’Église orthodoxe, la technique musulmane du dhikr, ou la répétition des attributs divins, le terme « Maître du Nom » (baal shem) attribué dans la tradition juive à certains saints ou mystiques – tous attestent la vitalité permanente des chemins spirituels centrés sur le nom du Seigneur. Dieu a beaucoup de noms. Il a autant de noms qu’il y a de moments où il se révèle à nous. Il est toujours le même et cependant toujours différent.

Nous-mêmes portons souvent un masque, nous nous présentons sous un déguisement lorsque nous faisons semblant d’adorer Dieu. Nous nous approchons de lui, non pas tels que nous sommes réellement, mais tels que nous voudrions que les autres nous voient, tels que nous voudrions que Dieu nous voie. Une telle attitude n’est pas juste, elle n’est pas vraie. De plus, nous adorons souvent Dieu sous un nom qui n’est pas le sien. Ici aussi nous manquons de sincérité. Nous devrions nous demander, chaque fois que nous nous approchons de Dieu, que nous lui parlons, sous quel aspect il se révèle à nous à ce moment. Et par la suite nous nous adresserons à lui sous cet aspect particulier, en employant ce nom particulier.

De nos jours, dans le contexte de la théologie ou de la philosophie « controversées », il est beaucoup question de « la mort de Dieu ». Il est évident que cette expression est dépourvue de sens. Dieu ne meurt pas. Mais certaine conception de Dieu meurt (et nous devrions nous réjouir qu’il en soit ainsi), notamment le concept d’un Dieu distant, métaphoriquement assis sur un trône céleste, distribuant ses bénédictions et ses malédictions à ses créatures, un souverain transcendant à qui nous n’avons accès qu’avec difficulté.

Le Dieu auquel nous aspirons, le Dieu que nous pouvons aimer est sans aucun doute celui qui nous est transcendant mais qui est aussi notre plus intime, présent au plus profond de nous, réalité intérieure – en bref, le Dieu qui est amour. Mais est-ce bien sous ce nom que nous le connaissons ? Que nous l’adorons ?

Les questions de vocabulaire sont souvent très importantes. Le mot « Dieu « est devenu sacré selon une très longue tradition, par un usage universel et un usage liturgique. Ce mot, ce nom est le cœur et la force d’un nombre incommensurable d’âmes. Le dénigrer serait blasphématoire. Il n’est pas question de l’abandonner. Ceci dit, cela ne nous empêche pas de faire remarquer deux choses. D’un point de vue étymologique et linguistique le mot « Dieu » n’a pas un contenu bien déterminé et précis. Il a une telle portée qu’il peut parfois paraître vide. De plus il est possible d’employer ce nom d’une façon routinière et mécanique, on peut l’employer comme une formule dépourvue de sens. D’autre part à tel ou tel moment, quand Dieu nous accorde une expérience particulière, ce nom qui embrasse tellement de choses peut nous sembler inapproprié pour exprimer avec assez de force l’aspect divin qui, à ce moment particulier, dans ces circonstances concrètes, s’est révélé à nous. Plutôt que de dire « Dieu «, « Mon Dieu «, « Toi qui es Dieu », ou encore « Seigneur Dieu », nous trouverons parfois un stimulus plus réel à dire : « Toi qui es Beauté », « Toi qui es Vérité », « Toi, ma vie », « Toi, ma lumière », « Seigneur, toi, ma force », « Seigneur, toi mon pardon » et ainsi de suite. Dans certaines circonstances et pour certaines âmes, j’ai conseillé l’emploi de ces appellations personnelles et pratiques plutôt que des termes abstraits. Je pense que ces substituts les ont aidés.

Mettre des attributs métaphysiques à la place du Dieu vivant et vrai menacerait de dissoudre la Personne ou plutôt la Super-Personne dans des catégories psychologiques ou morales. Nous ne devons jamais perdre de vue que nous pouvons adorer l’Être unique et éternel sous un millier de noms différents.

Si nous croyons que Dieu est Amour, si nous croyons que l’expérience de Dieu sous forme d’Amour constitue la réalité suprême, ce sera naturel pour nous de penser à Dieu et de lui parler comme « Seigneur d’Amour » ou simplement « Seigneur-Amour ». Ceci peut changer tout notre horizon. Il ne s’agit pas de déifier une idée subjective de l’amour ; il s’agit de s’élever vers le Bien-Aimé, la source de tout amour.

Revenons maintenant au Buisson Ardent. « Dis-moi ton nom. » « Ô Amour, toi qui étais, il y a longtemps dans le cours de l’histoire, et qui es présent maintenant à cet instant même de ma vie personnelle, révèle toi toi-même à moi au moyen de ce signe, révèle moi la véritable signification de la vision de l’Horeb. »

Le Seigneur répond maintenant à la question de Moïse : « Je suis Yahvé ». Mais quelle est la relation entre cette réponse « Je suis » et le Buisson Ardent ? Le sens exact du mot « Yahvé » a été le sujet de diverses interprétations et il le demeure encore. « Je suis Yahvé » peut signifier « Je suis celui qui est », ou bien « Je suis ce que je suis », ou encore « Je suis qui je serai », ou bien « Je suis ce que je souhaite être » . Mais toutes ces interprétations ont une base commune, toutes se rapportent à l’idée d’être et de l’Être Divin.

Depuis que cette définition de l’être de Dieu fut donnée à l’Horeb dans le contexte du Buisson Ardent, le texte biblique établit une certaine relation entre la vision du Buisson et la révélation du nom du Seigneur. Il se peut qu’un historien ou un rigoureux érudit de la Bible puisse contester cette interprétation. Mais je revendique le droit de la maintenir sur le plan spirituel. La conjonction de la vision et de la révélation du nom divin délivre ce message : « Vous me demandez mon nom. Je suis Étant. Je suis l’Étant que vous voyez dans l’être à ce moment même. Regardez devant vous. Vous voyez le Buisson qui brûle sans se consumer. Vous voyez du feu. L’Être que je suis est un Être de feu. Ces flammes proclament mon amour. Mais regardez de plus près. Mon feu ne détruit pas. Ce qu’il brûle, il le purifie et le transforme en lui-même, se l’incorpore. Ma flamme n’a pas besoin d’être nourrie. Elle se communique elle-même, elle se donne. Je suis le Don qui ne cesse jamais de donner. Je suis ce que vous m’avez vu être sur l’Horeb. Mon être, mon essence (ce en quoi je suis Yahvé) fusionne avec mon amour. Mais l’amour que je vous révèle maintenant sous le symbole du Buisson Ardent est mon amour dans la mesure où il ne cesse jamais d’aimer et de brûler, dans la mesure où il n’y a pas de limites qui puissent le circonscrire ou l’arrêter. Le Buisson Ardent et le nom de Yahvé signifient tout ensemble ma bonté inépuisable. Je suis Amour sans Limites ».

Amour sans Limites…Ces mots que je viens de prononcer sont justement ce que je veux être au cœur même de cette retraite. Bien sûr, nous connaissons Dieu déjà comme Amour. Mais je voudrais regarder de plus près la signification particulière de « Dieu-Amour » comme Amour sans Limites.

L’amour qui jaillit de Dieu ne connaît pas de limites dans le temps. Il est éternel parce que le Seigneur-Amour est éternel. Le Seigneur-Amour a toujours aimé et aimera toujours. Il a aimé chaque être dans son propre coeur, peu importe lequel, animé ou inanimé, même avant qu’il ne soit créé comme un être distinct (comme distinct de l’Être divin). Qu’est-ce que la création ? Chaque acte de création est un acte d’amour. La création est également l’acte par lequel ce qui, en Dieu, était déjà un objet intérieur d’amour devient dorénavant un objet extérieur d’amour, reçoit l’existence de Dieu, devient capable d’entrer avec Dieu dans une relation qui s’exprime par les pronoms « je » et « tu ».

Ceci est mon histoire à moi. Ceci est ton histoire à toi. Cette histoire de chacun d’entre nous est une histoire d’amour. Le Seigneur d’Amour m’a aimé, de toute éternité, d’abord en lui-même, ensuite à travers les millions d’ancêtres dont je suis le descendant. Mon existence actuelle est le sommet d’un déploiement d’amour et de grâce. Si je jette un regard sur le cours de ma vie personnelle depuis le tout début de mes souvenirs, je revois passant devant moi toute ta bonté, Seigneur d’Amour, et maintenant je la reconnais, même là où, en son temps, il semblait que toute bonté aimante était absente.

L’amour ne connaît pas de limite dans l’espace. Avez-vous déjà jeté un regard sur le psaume 103 (104) ? Il est récité chaque soir au début des vêpres dans l’Église orthodoxe. Lisez-le attentivement. Dans ce psaume l’univers entier défile, les montagnes et la mer, le vent et les orages, les bêtes sauvages et les plus petits animaux, les arbres et les rochers. C’est une cosmologie entière qui devrait guider notre piété sur des sentiers allant au-delà d’une relation « privée » avec Dieu. Ce que nous devons faire c’est nous laisser emporter par l’immense courant d’Amour sans Limites, par cette impulsion, cette progression de toute la nature qui, d’après saint Paul, attend la libération des conséquences de la chute. Néanmoins prenons garde que la montée de l’homme vers Dieu n’obscurcisse pour nous la descente de Dieu vers l’homme.

Prenez une fleur dans la main, prenez une pierre. Méditez sur elles, non du point de vue scientifique, celui du botaniste ou du géologue, mais du point de vue spirituel. Chacune d’elles est un abrégé de l’évolution du monde vers le « Christ total » dont parle Saint Paul. Elles ne sont pas seulement des signes d’Amour conduisant à lui. Elles sont également signes d’Amour venant vers nous, se révélant à nous, se donnant à nous, se rapprochant de nous de plus en plus. Contemplez la beauté divine dans un brin d’herbe, dans une feuille, dans une branche. Percevez une offrande dans une senteur, une couleur. Faisons participer nos vies spirituelles à la vie de l’univers. Reconnaissons en toute créature le printemps de l’amour divin qui s’accorde à elle et à elle seule. Le Seigneur-Amour a aimé chaque grain de sable, chaque pierre, chaque feuille, chaque arbrisseau, chaque animal.

Nous unir à tout ceci, entrer dans ce grand flux et reflux d’amour, adorer Dieu et lui rendre grâces au nom de la nature (qui ne peut parler), tout cela est la piété cosmique. En cela est notre réponse à l’Amour sans Limites.

Aimez-vous le soleil ? Aimez-vous les étoiles ? Les galaxies ? Rendez-vous grâces à Dieu pour leur création et pour leur présence ? Entrez-vous dans l’amour divin de tout ce qui existe ? Ce n’est pas facile. Aimez-vous les serpents ? Même si nous sommes mordus par un serpent, nous devrions être capables de l’aimer quand il nous mord car ce n’est pas le serpent qui est à blâmer, il ne fait qu’obéir à un impératif de son instinct. Le serpent, comme la nature entière, a été victime de la Chute, mais le Seigneur-Amour n’a pas cessé de l’aimer.

La plus belle fleur fanera un jour. Ceci nous rappelle les problèmes de la dissolution et de la fin de toutes choses, du mal et de la mort, de la souffrance et du péché. Tout ceci sont des faits. Une guerre violente se livre en permanence contre l’Amour sans Limites. Nous reviendrons à ce thème. Mais l’Amour est un vent puissant, un ouragan qui fait voler en éclats les fenêtres ; il renverse totalement nos idées préconçues, il brise la jarre d’albâtre de sorte que son parfum se diffuse, il est au-delà de la loi, au-delà et au-dessus de ce que nous appelons « moralité « et « religion ». L’Amour est victorieux de la mort elle-même. Toutes les barrières sont rompues par l’Amour sans Limites.

À ce point-ci et sans plus tarder, je veux parler de deux choses très importantes qui pourraient vous avoir inquiétés. Jusqu’ici, je n’ai point parlé de la personne de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ. Est-ce que l’humble, doux visage du Christ des Évangiles n’a pas été perdu dans cet océan d’Amour sans Limites ? Etait-ce nécessaire d’avoir recours à cette conception transcendante de l’Amour lorsque, après tout, c’est par Amour que Dieu-fait-homme a parcouru nos chemins. Que Dieu vous préserve d’oublier celui qui est l’Amour-Sauveur. Je crois et je confesse que Jésus était et est encore le visage de l’Amour sans Limites, et qu’en lui habite la plénitude de la divinité et donc de cet Amour même. Mais j’ai l’audace d’affirmer qu’ici nous nous aventurons « au-delà de Jésus ». Comprenez bien ce que je veux dire. Dans un certain sens, il n’y a pas d’« au-delà de Jésus », car Jésus a apporté l’Infini et la Perfection dans le monde. Mais par ailleurs, il y a moyen d’aller « au-delà de Jésus » si par cela nous entendons aller au-delà de la figure historique de Jésus pour atteindre le Christ Éternel. Dans tout ce que Jésus a dit et fait en public, nous devons découvrir, discerner « ce qui était dans le cœur de Jésus », le Jésus intérieur, son essence divine. Celle-ci n’était pas limitée à sa personne. Jésus lui-même a prié Dieu. En méditant l’Amour sans Limites, nous touchons la source vivante au cœur de l’âme même du Sauveur.

L’autre point que je dois aborder est la question de la relation interpersonnelle au sein du « Dieu-Amour ». Comment parler d’Amour sans Limites sans contempler le mystère de la Sainte Trinité, des trois anges assis à la table d’Abraham sous le chêne de Mambré ? Comment pouvons-nous ignorer la distinction entre le Père, son Fils et son Esprit ? Je dirai simplement que la richesse et la profondeur de ce mystère sont telles que je préfère n’en rien dire plutôt que d’en parler trop brièvement et superficiellement. Je vais essayer de vous faire comprendre comment l’Amour sans Limites est propre à tous les trois. Vous-mêmes pouvez continuer à explorer l’idée d’Amour sans Limites, approfondir les implications des thèmes de l’Amant, de l’Aimé et du « Co-Amant », et du « Co-Aimé » dans le même Amour. Vous pouvez réfléchir aux analogies humaines à propos des thèmes d’amour donné, d’amour reçu et d’amour partagé (et ceci éclairera le rôle du « troisième homme « dans l’affection humaine à l’égard d’un couple). En suivant cet ordre d’idées, qui n’est le seul, vous pouvez être à même d’approcher le mystère de Mambré, qui n’est point d’autre que celui du Buisson Ardent, sous une forme différente. Mais ce n’est pas ce que je veux faire ici.

Mon but, dans cette seconde méditation, a été de vous montrer que la flamme du Buisson Ardent est le cœur de l’univers et son secret ; l’Amour vivant, réel, intensément personnel, qui comprend tous les hommes, tous les animaux, toute la végétation, tous les minéraux, toutes les planètes, tout l’espace, et toutes les créations dont nous n’avons aucune connaissance. Pour le dire avec les paroles de Dante, cet Amour qui meut le soleil et les autres étoiles s’offre à chacun de nous. Nous savons maintenant comment appeler Dieu, si nous nous aventurons jusque dans son cœur. Dieu est Amour sans Limites.

Méditation d’une retraite dirigée 
par père Lev Gillet à Pleshey en Angleterre 
en 1969. Première publication en français.
Traduction Valère De Pryck. 
La première méditation, « La Grande Vision »
se trouve en ligne ici

 


 Amour divin - Amour humain : Introduction
 Pages père Lev Gillet

 


Dernière modification: 
Samedi 23 juillet 2022